Article paru le 2 décembre 2021 dans la section Idées du journal Le Devoir.

Auteur: Carol Couture, Directeur, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, Université de Montréal, 2001-2005 ; conservateur et directeur général des archives, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2006-2012

Il est question de ces rapports depuis le début de l’enquête que mène la coroner Géhane Kamel. On parle ici de rapports d’inspection (formulaire contenant 17 questions) remplis lors de 678 visites dans les CHSLD qui sont, semble-t-il, bien difficiles à retrouver. Selon Me Patrick Martin-Ménard, qui représente les familles des aînés morts dans les CHSLD pendant la première vague, ces documents permettront de faire la lumière sur ce qui s’est véritablement passé dans ces établissements.

L’affaire avait aussi été relevée il y a quelque temps par Ariane Lacoursière, de La Presse, et Michel David, du Devoir. Thomas Gerbet, de Radio-Canada, a aussi commenté et fort bien documenté ce dossier après avoir appris que, finalement, toutes les informations n’ont peut-être pas été détruites.

Mais quelle histoire ! Histoire qui est largement reprise à l’Assemblée nationale et qui place le gouvernement dans une très mauvaise position.

L’archiviste que je suis a été très surpris quand la sous-ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Natalie Rosebush, qui répondait à la coroner Kamel, a affirmé que les « rapports d’inspection » des CHSLD effectués pendant la première vague de la pandémie n’avaient pas été conservés. Donc, en clair, ces documents auraient été détruits. Par la suite, on a appris que ce n’était peut-être pas le cas. Et voilà que le dossier atterrit sur le terrain de la gestion des archives du MSSS et que se pose une question archivistique, soit celle de l’application de l’outil fondamental qu’est le « calendrier de conservation ». En effet, en vertu de l’article 7 de la Loi sur les archives, le calendrier de conservation se définit ainsi : « Tout organisme public [le MSSS est un organisme public] doit établir et tenir à jour un calendrier de conservation déterminant les périodes d’utilisation et le support de conservation de ses documents […]. »

Ces décisions s’incarnent plus précisément dans une « règle de conservation » que Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) définit comme étant une « Convention fixée à partir de l’évaluation administrative, légale, historique et de recherche d’une série documentaire, d’un système d’information, d’un dossier (ou d’un document, le cas échéant) et qui en établit les périodes d’utilisation et le mode de disposition ». Dans les circonstances, les questions suivantes devraient donc être posées à qui de droit :

  1. Qu’en est-il de l’application de la Loi sur les archives au MSSS ?
  2. Est-ce que le MSSS applique un calendrier de conservation ? (Je présume que la réponse est assurément oui.)

3.Dans ce cas, quelle règle de conservation s’applique aux rapports d’inspection ?

  1. Est-ce que la période de conservation que prévoit cette règle de conservation pour ce type de documents a bel et bien été appliquée ?

La personne responsable de l’application du calendrier de conservation au MSSS doit nécessairement être en mesure de répondre à ces questions.

On comprend que les réponses à ces questions ont une importance capitale dans le cadre de l’enquête que mène la coroner Kamel. S’il était constaté que les « rapports d’inspection » ont bel et bien été conservés en application de la règle de conservation qui s’y applique, ils doivent donc exister quelque part. Et, en pleine pandémie, il nous semble que, de toute façon, la plus grande prudence s’imposait quant à la conservation de documents que l’on aurait dû qualifier d’essentiels pour la suite des choses. Quoi qu’il en soit, l’archiviste que je suis s’étonne et s’inquiète de tout ce brouhaha autour de documents qui valent leur pesant d’or pour les enquêtes menées actuellement et pour les autres enquêtes qui suivront peut-être, étonnement et inquiétude d’ailleurs partagés par Me Kamer, Me Ménard et les représentants de tous les partis d’opposition à l’Assemblée nationale.

 

 

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