L’AAQ a collaboré avec l’Association canadienne des archivistes (ACA) pour réaliser une lettre concernant nos préoccupations face aux clauses reliées au droit d’auteur revues dans le cadre du processus de renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).

Pour télécharger la lettre : CAP-ALENA soumission NAFTA Submission version FR et EN

 


L’Association des archivistes du Québec (AAQ) et l’Association canadienne des archivistes (ACA) représentent, ensemble, quelque 1 400 archivistes, dont la responsabilité est d’assurer le repérage, la préservation et l’utilisation des archives historiques nationales. L’AAQ et l’ACA œuvrent en faveur des professionnels qui gèrent les archives et les citoyens qui s’en servent. Le travail des archivistes est essentiel: veiller à l’intégrité des documents et promouvoir la transparence des organismes publics et privés par une saine gestion des documents et de l’information qu’ils contiennent.

L’ensemble des archives dans les services d’archives est le sous-produit informationnel d’activités organisationnelles ou sociales. De tels documents ont été créés et accumulés par une institution, une organisation, une personne ou une famille dans le cours de leurs affaires et conservés pour la valeur durable de l’information qu’ils contiennent. Pour la plupart, les documents d’archives n’ont pas été créés à des fins commerciales, mais ils sont pris dans le même filet de droit d’auteur que les romans, les chansons, ou les films cinématographiques.

L’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) actuel contient très peu de clauses touchant le droit d’auteur, et nous n’avons pas de commentaires à faire à propos de leur opération. Cependant, nous craignons sérieusement que le Canada subisse de la pression pour reproduire certaines clauses problématiques de l’entente échouée Partenariat Trans-Pacifique (PTP) dans un ALÉNA révisé, notamment :

– un prolongement de la durée du droit d’auteur et une diminution correspondante du domaine public

– un manque d’équilibre entre les droits des propriétaires et les droits des utilisateurs.

 

La durée du droit d’auteur et le domaine public

La perspective d’une prolongation par le Canada de la durée du droit d’auteur de 20 ans est hautement problématique. La durée actuelle du droit d’auteur au Canada comprend la durée de la vie de l’auteur et les 50 ans suivant sa mort, ce qui est compatible avec la Convention de Berne ainsi que la législation sur le droit d’auteur de plusieurs pays, dont le Japon, l’Afrique du Sud, la Bolivie, la Nouvelle-Zélande et beaucoup d’autres pays du Commonwealth. La PTP exigeait que cette durée soit prolongée de 20 ans pour comprendre la durée de vie de l’auteur et les 70 ans suivant sa mort ou (pour les durées non basées sur la vie d’une personne) 70 ans à partir de la première publication autorisée, la première fixation ou la création. Ces durées excèdent les normes internationales, et aucune preuve n’existe qu’une durée plus longue encourage la création de nouvelles œuvres, surtout si l’auteur est mort. Le Canada a signé d’autres accords, notamment avec la Corée du Sud et l’Union européenne, sans devoir pour autant prolonger la durée du droit d’auteur.

En outre, une prolongation de 20 ans de la durée du droit d’auteur aurait pour effet d’écourter la période du domaine public. Un domaine public robuste est essentiel à l’encouragement de la créativité, des études et de la recherche, de l’innovation et de la croissance économique. Il constitue une banque de matières premières de laquelle des individus peuvent retirer des ressources pour l’apprentissage et pour la création d’idées ou d’œuvres nouvelles. Par exemple, les lettres écrites par les premiers ministres St- Laurent, Diefenbaker et Pearson entreront dans le domaine public à la fin de 2022, 2023 et 2029 respectivement. Si un ALÉNA révisé comprenait une prolongation de 20 ans du terme du droit d’auteur, de tels documents n’entreraient pas dans le domaine public qu’en 2042, 2043 et 2049 respectivement. Des œuvres d’auteurs canadiens comme Frank Underhill, Donald Creighton, Marshall McLuhan, René Lévesque, Jean Lesage, Gabrielle Roy, Thérèse Casgrain et F.R Scott entreront dans le domaine public dans les 20 prochaines années. Pourquoi les Canadiens devraient-ils attendre encore 20 ans pour pouvoir raconter leurs histoires?

L’Équilibre en matière de droit d’auteur

Le fonctionnement efficace de la loi sur le droit d’auteur dépend de façon fondamentale d’un équilibre approprié entre les droits des propriétaires et les droits des utilisateurs du matériel protégé par la loi. Depuis plus de dix ans, la Cour suprême du Canada souligne l’importance de maintenir l’équilibre entre le service aux intérêts publics et l’assurance d’une compensation juste pour les détenteurs des droits. Cependant, le PTP ne se souciait que des droits des détenteurs. Les objectifs du chapitre touchant à la propriété intellectuelle (PI) ne tenaient pas compte d’enjeux importants comme l’équilibre dans l’ensemble des droits de la PI, les intérêts légitimes des utilisateurs ou la promotion de l’accès au domaine public et sa protection. En outre, d’autres clauses de la PTP minaient l’équilibre fondamental nécessaire au droit d’auteur. Les clauses qui servaient les intérêts des détenteurs des droits étaient obligatoires; celles qui servaient les intérêts des utilisateurs étaient optionnelles.

Un système robuste d’exceptions et de limitations sur les droits de monopole des détenteurs des droits d’auteur s’avère le meilleur moyen d’atteindre l’équilibre dans la législation en la matière. Sans de telles exceptions («les droits des utilisateurs») qui reconnaissent comme légitimes des fins tels la recherche, l’étude privée, la critique, les études, l’enseignement et le reportage des nouvelles, les gens ne pourraient pas se servir des archives à des fins de nouvelles études et de nouvelles recherches, de l’innovation et de la croissance économique. Les institutions d’archives dépendent des droits des utilisateurs pour réaliser leur mission d’acquérir, de préserver et de rendre accessible le patrimoine documentaire du Canada. Sans ces droits, la vitalité de la mission archivistique au Canada est menacée. Il est essentiel que les clauses obligatoires d’ententes commerciales qui favorisent les droits des propriétaires ne priment pas sur les droits des utilisateurs dans l’actuelle Loi sur le droit d’auteur.

Nous vous remercions de nous offrir cette occasion de commenter la renégociation de l’ALÉNA. Nous anticipons participer dans un processus ouvert et transparent qui prendra en considération le rôle des institutions archivistiques à servir l’intérêt public des Canadiens d’une manière proprement équilibrée.