Article paru le 24 mai 2022 dans la section Opinion du Journal Le Devoir
Auteur: Carol Couture, Directeur, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, Université de Montréal, 2001-2005 ; conservateur et directeur général des archives, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2006-2012
Sans doute le lecteur a-t-il un souvenir plus ou moins précis des propos que nous tenions avec d’autres collègues au moment de la nomination surprise de la présidente-directrice générale de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) à l’été 2021. Nous avions alors émis de sérieux doutes quant à la conformité de cette nomination, faite de façon à forcer la main du conseil d’administration de BAnQ, dont les membres n’avaient pas été informés de la modification du profil de compétences qu’ils avaient la charge formelle de définir.
Nos renseignements ont été confirmés tout récemment dans un article du journaliste Alexandre Robillard dans Le Devoir du 28 avril. La ministre confirme que les exigences du poste ont été abaissées par une intervention de l’État, se défend d’avoir proposé elle-même cette dévaluation du poste et en attribue la décision au Secrétariat aux emplois supérieurs, dont on sait qu’il relève du bureau du premier ministre. On ne pouvait mieux souligner le caractère politique de cette nomination. Bien de l’eau avait coulé sous les ponts, le tour de passe-passe avait été oublié, il nous est désormais rappelé. Et Marie Grégoire, la nouvelle p.-d.g., est bien en selle.
Le temps a aussi fait son œuvre en ce qui nous concerne. Après quelques secousses d’indignation, quelques demandes journalistiques d’accès à l’information, que les directions du ministère de la Culture et de BAnQ ont rejetées en bloc, nous laissions aller. Nous en sommes maintenant à nous demander si la personne nommée, dont on disait qu’elle aurait au moins ses entrées privilégiées auprès des décideurs, pourra aller chercher les ressources supplémentaires pour permettre un développement accéléré de BAnQ qui soit à la hauteur de ce qu’on nous promettait.
Certains étaient convaincus que cette nomination hors norme forcerait le gouvernement à fournir les ressources nécessaires pour calmer les sérieux doutes soulevés par la communauté. Il paraissait donc plus sage d’attendre et de voir si des crédits budgétaires sensiblement augmentés seraient au rendez-vous au printemps 2022. Nous y voilà ! Et les chiffres, qui ne peuvent se cacher derrière une langue de bois, parlent d’eux-mêmes.
Penser bleu
La réponse se trouve dans les pages 72, 81 et 83 du document d’accompagnement du budget 2022-2023 du gouvernement du Québec intitulé Budget des dépenses publié par le Secrétariat du Conseil du trésor le jour même du dévoilement du budget. En gros, la subvention gouvernementale pour BAnQ en 2022-2023 est de 77 millions de dollars (tout juste une indexation à l’inflation, car elle était de 75,4 millions en 2021-2022). Le document indique clairement que la subvention pour ces deux années est « de niveau comparable », disons donc stagnante. Les apports d’autres sources (Montréal par exemple) font monter le budget à 95,7 millions, mais les dépenses prévues sont toutefois de 101,4 millions, un écart que le gouvernement voudra certainement corriger un jour.
Ce déficit semble autorisé (voir page 83 du document mentionné précédemment) en raison de la hausse générale des rémunérations dans le secteur public et des sommes consacrées au passage à l’infonuagique, une opération largement technique qui devient le seul projet d’expansion comme nous l’avions craint. Il est aussi question d’une somme de 13,7 millions en investissement, et il s’agit probablement du maintien des actifs pour l’ensemble des édifices de BAnQ. En somme, aucun développement réel, aucune augmentation de ressources.
D’ailleurs, en culture, les quatre cinquièmes des investissements importants concernent les « espaces bleus », ces nouveaux bâtiments dont la mission est d’exalter la fierté culturelle des Québécois, sous toutes les formes possibles. Cela se voit dans le Plan québécois d’infrastructures (PQI), contenu aussi au Budget des dépenses. Sans doute a-t-on demandé à BAnQ de contribuer à cette mission chère au gouvernement actuel.
Cela explique peut-être que le dernier numéro de sa revue À rayons ouverts, accompagné d’un feuillet, nous informe du passage à une publication annuelle plutôt que trimestrielle (bonne économie !) et d’une volonté de faire de ce numéro unique un endroit où se familiariser avec des personnages ou des lieux qui ont contribué à ce que nous sommes devenus.
Autrement dit, les textes qui portaient sur les travaux mêmes que mène BAnQ (le plus souvent liés aux missions de conservation) ne seront plus la matière première, on pensera plutôt bleu. On peut s’en désoler sans toutefois s’en étonner !
Plus une locomotive
Et de toute façon, tout cela est-il si inattendu ? Après tout ce qu’on constate du laisser-aller, voire du détachement du ministère de la Culture envers le patrimoine : maison Chevalier dans le Vieux-Québec (au fait, où en est-on dans ce dossier ?), démolition sauvage du Domaine-de-l’Estérel à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, le cas désolant de l’église Saint-Louis-de-France à Québec, l’autre du campus des Sœurs de la congrégation de Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours établi dans le beau village de Saint-Damien-de-Buckland, la décomposition sous nos yeux du bâtiment historique de la bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis, et combien d’autres endroits disparus ou laissés dans l’oubli.
Est-il si anormal désormais que, pour BAnQ comme pour bien d’autres institutions, le Québec soit si mal emmanché pour répondre intelligemment à son si cher « Je me souviens » ?
Avions-nous raison de douter du fait que BAnQ réussirait à tirer son épingle du jeu et à aller chercher les sommes indispensables pour assumer son mandat de diffusion et de conservation du savoir et de la connaissance sous toutes ses formes ? Comme nous l’affirmions le 11 décembre dernier dans un texte publié dans Le Devoir, au centième jour de l’entrée en poste de l’actuelle p.-d.g. Dommage quand même de constater qu’au final, BAnQ ne bénéficiera pas de l’amélioration pourtant annoncée de sa situation budgétaire et du renouvellement de ses ressources.
Décidément, dans le domaine culturel québécois, BAnQ ne sera plus la locomotive qu’elle était devenue. Malheureusement, si l’on se fie aux ressources dont dispose BAnQ pour l’année 2022, notre constat du 11 décembre est toujours d’actualité.
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MERCI votre texte documenté et éclairant. Mon point de vue dit : Marie Grégoire fut précisément choisie pcq on a pu AVANT sa nomination faire pression sur elle : On te nomme… ET tu dois savoir que tu ne jouiras d’aucune augmentation de budget… Et tu iras DANS tel sens pour ta gestion. Là-dessus, plaisir de te nommer. C’est tout simple… Marie Grégoire ne devait pas demander d’augmentation. Il n’y en eu point. On sait B’en… La CAQ… C’est comme Harper il y a 10 ans.. 11 ans plutôt… coupure ds les budgets de voyages des artistes à l’étranger. Ces voyages étaient rentables $$$pour le Canada ce fut prouvé mathématiquement… Rien n’y fit… les Conservateurs coupent la culture. Point à la ligne. Ne les intéresse que le visible plat banal… Pensée du terminus écrit Mathieu Bélisle…