Dans le cadre de son congrès annuel, l’Association des archivistes du Québec est toujours heureuse de recevoir des collègues internationaux afin d’entendre ce qui se passe hors de nos frontières. Voici le retour de deux de nos reporters étudiants sur certaines des présentations données par nos conférenciers étrangers.

English version follows.


Alexandre Soucy

La valeur des archives pour le monde des affaires – Anders Sjöman, Centre for Business History (Stockholm)

Dans le secteur public, la loi encadre la gestion des archives. En revanche, dans le secteur privé, aucune loi n’exige la conservation des documents. Certes, les entreprises privées organisent leurs masses documentaires, emploient même des professionnels pour le faire, mais y a-t-il généralement un véritable désir quant à la vie et à l’utilité de la mémoire organisationnelle? L’histoire n’est-elle pas trop souvent perçue comme du « loin-derrière », comme de la cendre ou de la poussière sans intérêt pour le rendement futur? Comme l’a présenté Anders Sjöman lors de la conférence d’ouverture du 47ième congrès de l’AAQ (The Value of Archives to the Business World), l’histoire est souvent un ingrédient permettant de recentrer l’entreprise sur ses valeurs premières, réaffirmant les fondements et principes ayant menés à son succès et pouvant servir à sa continuité.

Qui, en vacance dans un pays ou une ville inconnue, n’a pas cherché un restaurant avant de s’arrêter devant une enseigne sur laquelle on lit, en évidence : … les meilleurs steaks « depuis 1877 »; ou encore, cherchant un distributeur quelconque, être attiré par une entreprise existant « depuis 1922 ».   Ici, l’histoire communique un esprit de confiance. Par cette présence simple et directe (et la liste d’exemple de ce genre pourrait être longue), l’histoire est mise de l’avant au profit des consommateurs présents et futurs. Cette brève empreinte de l’histoire propose un sentiment subtil de sécurité et ne constitue aucunement un signe de désuétude. Bien au contraire, elle attise la confiance.

De façon plus large et englobante, l’histoire d’une entreprise est le miroir de ses réussites, de ses erreurs et échecs, autant d’éléments sur lesquels réfléchir pour penser l’avenir de son produit et sa place sur le marché. Les documents d’archives sont un début de discussion, un outil de promotion, un lien potentiel entre l’entreprise et sa clientèle. Les documents d’archives sont l’élément fertile menant à l’élaboration d’une trame narrative rassembleuse, propre à stimuler l’imaginaire collectif. Les archives sont une sensibilité, une nostalgie positive et locomotive. Elles sont un signe d’existence, de santé, et un éventuel outil de mise en valeur, de publicité, de propulsion. Les archives sont une large mise en contexte qui révèle une évolution en mouvement, une continuité, une poursuite, un dépassement.

Le « Centre for Business History » à Stockholm conserve des archives d’entreprise depuis 1974. Le centre travaille au maintient et à la valorisation du patrimoine industriel du pays et de ses entreprises.

Léandre Alain

Can we love too much history? – Tim Schantz, The History Factory

Peut-on trop aimer l’histoire? Certains passionnés vous répondront par la négation. Ils affirmeront que la discipline est un point d’ancrage essentiel pour saisir la trajectoire, passée et future, d’une société ou d’une organisation. L’aspect référentiel, celui de jalons entre différents événements, devient dès lors le pivot de la discipline. L’héritage d’un milieu demeure toutefois beaucoup trop important pour être niché comme une unique expertise, destinée aux passionnés seuls. Et il en est le cas autant pour les documents patrimoniaux, que pour les archives administratives d’une institution.

Pour Tim Schantz, directeur chez The History Factory, il s’agit avant tout de créer une histoire vivante. Par la voie de la diffusion numérique, et de la publicité, il est impératif d’aller chercher les usagers directement, plutôt que d’attendre la consultation des archives. L’archiviste devient alors intermédiaire dans le processus de recherche d’information. Ses activités touchent la médiation entre les utilisateurs et les ressources informationnelles de diffusion. Son rôle se complexifie donc pour comprendre des fonctions d’éducateur, de formateur et de représentant en marketing.

Il est alors nécessaire de traduire le jargon de l’expertise, celui des historiens, des archivistes et des autres spécialistes, pour être compris dans le monde corporatif. De la sorte, l’expert doit jongler avec des termes bien connus du milieu, ceux d’investissement, de rentabilité et de valeur ajoutée. Autrement, le risque de perdre les archives des institutions devient beaucoup trop important. Les archives historiques pourraient alors être placées à la toute fin des considérations prioritaires. L’utilisation des médias sociaux, et des campagnes publicitaires, peuvent subséquemment faciliter le processus de vulgarisation au sein même de l’organisation. Les documents seront donc considérés par leur valeur de production, comme produits d’investissements, et par les opportunités qu’ils peuvent créer.

Dans une optique de rentabilité, il est certainement possible de trop aimer l’histoire. Cette passion freine les possibilités de diffusion de l’héritage collectif et corporatif, car elle met l’accent sur des orientations personnelles. La gestion documentaire doit alors s’effectuer selon des objectifs précis, et concilier la réalité économique des organisations.

 


 

At its annual meeting, the Association des archivistes du Québec is always pleased to welcome international colleagues in order to learn what is happening beyond our borders. Here are accounts by two of our student reporters on recent presentations by foreign speakers.

Alexandre Soucy

The value of archives to the business world – Anders Sjöman, Centre for Business History (Stockholm)

In the public sector, legislation governs archives. However, in the private sector, no laws require the preservation of documents. Of course businesses manage their masses of records, and even hire professionals to do so, but have they in general a real desire to maintain the vitality and usefulness of organisational memory ? Is history not too often perceived to be the distant past, ashes and dust, of no use for future productiveness? At the opening conference of the 47th Annual Meeting of the AAQ (The Value of Archives to the Business World), by Anders Sjöman, history is presented as a factor that enables a firm to refocus on its core values and reaffirm the basics and the principles that will facilitate its continued success.

Who, in a strange country or city, has not searched for some time for a restaurant before stopping at a sign that reads, clearly marked, « the best steaks, since 1877 » ; or has not, searching for a distribution firm, been attracted by a company that proclaims its existence « since 1922 » ? Here history reassures. By this simple and direct presence (and the list of examples of this type could be long indeed), history is advertised as a benefit to current and future consumers. This subtle presentation of history offers a quiet assurance of security and in no way signals obsolescence. On the contrary it inspires confidence.

In a broader sense, the history of a firm is the mirror of its successes, errors, and failures, all elements on which to reflect in order to think the future of its product and its place in the market place. Archival documents are at the source of a discussion, constitute a promotional tool, a potential link between a company and its customers. Archives are fertile contributors to the construction of a unifying narrative, capable of stimulating the collective imagination. Archives engender sensitivity and positive, stimulating nostalgia. They are a sign of existence, a promise of health, and, potentially, of publicity, promotion, and projection. Archives provide the context that signals evolving, continuing, pursuing, surpassing.

The « Centre for Business History » in Stockholm has preserved business archives since 1974. The Centre now works to maintain and to showcase the industrial heritage of the country and its companies.

 

Léandre Alain

Can we love too much history? – Tim Schantz, The History Factory

And can we love history too much? Certain enthusiasts will reply in the negative. They reply that history is an anchor, essential for seizing the trajectory, past and future, of a society or an organization. The referential aspect, that of providing reference points between events, becomes the pivotal value of the discipline. The heritage of a milieu is too important, however, to become the niche of a single given expertise, reserved for enthusiasts only. And this is the case as much for historical documents as for the administrative archives of an institution.

For Tim Schantz, director at The History Factory, it is surpassingly important to create a living history. Through electronic communication and publicity it is imperative to search out users directly, rather than wait for users to come to the archives. The archivist becomes mediator in the process of researching information, mediating between users and information resources. The role of the archivist becomes complex, embracing the functions of educator, trainer, and marketer.

It becomes necessary then to translate into a language comprehensible to the corporate world the jargon of the specialists, be they historians, archivists, or others. Likewise, the specialist must be able to juggle terms from the corporate vocabulary, those of investments, profitability, and added value. Otherwise, the risk of losing corporate archives becomes too great; historical archives risk becoming the last consideration. Using social media and publicity campaigns can facilitate the process of popularisation within corporations. Documents would then be perceived for their productive value, as returns on investment, useful for the opportunities that they create.

From a perspective of profitability, it is certainly possible to like history too much. Such a passion can stifle possibilities for disseminating collective and corporate heritage because it favours personal preferences. Records management must therefore be executed according to precise objectives and must accommodate the economic reality of organisations.