volume 38 no 2 (2006-2007) pp. 119-142 
 Les usagers indirects des archives : d'un concept théorique 
 à son application dans les études d'usagers
 
Julie Roy
Archiviste. Bibliothèque et Archives Canada
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Table des matières
Le concept d'usager indirect
La médiation nécessaire : du document primaire au document secondaire
Le relais des usagers directs des archives
Les usagers directs : des courroies de transmission
Les usagers des archives courantes et intermédiaires
Les usagers directs des archives définitives
De l'usage explicite à l'usage implicite des archives : un phénomène de gradation
Comptabiliser l'invisible
Les usagers indirects des archives : vers une démarche plus systématique de mesure
L'exemple du Service des archives et de gestion des documents de l'UQAM
Du document secondaire à ses retombées
L'impact quantitatif
L'impact qualitatif
Augmenter sa visibilité
Conclusion
Bibliographie

What is the significance and impact of research in archives ? What difference does research in archives make -- in terms of individual enlightenment, solution of practical problems, benefits to the public good, scholarly advances, growing human self-understanding, or additions to the sum of total human knowledge ? In short, what is the use of archives ?
Bruce Dearstyne
À quoi bon un chef-d'oeuvre enfoui ou de merveilleux bijoux coffrés dans l'obscurité des voûtes bancaires ? Le trésor n'existe, en fait, que par la médiation de la perception humaine...
Jean-Pierre Wallot

Bien que le thème de l'utilité des archives inaugure le premier congrès du Conseil international des Archives en 1950 et que certains services aient développé des programmes permettant de compiler des renseignements sur leurs usagers et l'utilisation de leurs services, cet aspect reste un terrain peu exploré par les archivistes. Les études d'usagers, qui ont connu un essor considérable depuis les années 1980, comportent encore peu de données permettant de mesurer l'utilité des archives et leurs retombées dans la société. Comme l'indique Wendy Duff, « At the heart of archival theory is the record, not its secondary use nor the various types of researchers who visit archives seeking information. » (Duff 2002) Or, plusieurs constatent que c'est notamment par une meilleure connaissance des services d'archives et de leur utilité que passent la reconnaissance de la profession d'archiviste et l'allocation des ressources par les bailleurs de fonds. Ces constats sont à l'origine de nombreuses initiatives qui prennent forme depuis quelques années afin de sensibiliser la population et les décideurs à l'importance des archives1.

1 Le Conseil canadien des archives a produit une trousse de sensibilisation, destinée aux archivistes et aux usagers : « Sans l'appui du grand public, les archives ne peuvent devenir une priorité pour les politiciens ; l'intervention de personnes oeuvrant à la défense des archives est donc nécessaire pour orienter le public dans sa découverte du réseau canadien de ressources archivistiques. » La Déclaration québécoise sur les archives, lancée le 24 avril 2006, vise également à sensibiliser les archivistes et l'ensemble des citoyens à la diversité, à l'originalité et au caractère essentiel des archives, mais surtout à en faire la responsabilité de tous. Déclaration québécoise sur les archives, http://www.archivistes.qc.ca (Document consulté le 20 août 2006).

La démocratisation de l'accès et l'émergence de la société de l'information multiplient les catégories d'usagers, les canaux de diffusion et les lieux d'apparition des documents d'archives dans les contextes les plus divers. La démocratisation de l'accès aux archives est non seulement une question d'accès tangible aux services de référence et aux documents, mais également le résultat de l'effet multiplicateur de leur apparition sur diverses tribunes et sous diverses formes. Il existe d'ailleurs une catégorie d'usagers, qui passe généralement inaperçue dans les statistiques compilées par les services d'archives, qui se multiplie au contact de cette démocratisation à une vitesse sans doute plus grande encore que tous les autres types d'utilisateurs recensés dans les études d'usagers. Cette catégorie d'usagers, que l'on appelle les usagers indirects, regroupe ceux et celles qui, sans jamais franchir le seuil des services d'archives, profitent de leur existence, grâce aux recherches et aux travaux de ceux qui les fréquentent. L'étude de cette catégorie d'usagers permet de mieux saisir l'impact des efforts de démocratisation opérés par les archivistes depuis quelques années ainsi que l'utilité des archives pour la société. Elle permet également de mieux saisir l'importance des usagers traditionnels qui diffusent les documents d'archives de manière complète ou partielle dans divers médias. Les documents d'archives sont en effet utilisés de manière indirecte par un grand nombre d'individus provenant du public ou de ce que la littérature archivistique cantonne généralement dans la catégorie des non-usagers grâce au relais de la clientèle des services d'archives.

Au milieu des années 1980, les travaux de Paul Conway ont été les premiers à souligner l'existence de cette masse en pleine croissance d'usagers indirects et leur importance pour juger de l'utilité des archives et des services offerts par les archivistes. Cet article propose d'explorer le concept d'usager indirect, repris notamment par Bruce W. Dearstyne, William J. Maher et Mary Jo Pugh. Nous tenterons d'abord de définir le concept d'usager indirect dans la chaîne de diffusion des archives et en regard des diverses catégories d'usagers proposées par la littérature archivistique. Nous verrons ensuite quels types de données peuvent être compilées et quelles stratégies peuvent être mises en place par les services d'archives pour mieux connaître cette catégorie d'usagers et évaluer plus efficacement l'utilisation des archives et ses retombées. Il s'agit d'une exploration visant à susciter des réflexions qui s'avèrent de plus en plus nécessaires autour d'un concept qui peut se révéler déterminant pour mesurer l'utilité des archives et des archivistes dans la société.


Le concept d'usager indirect

L'essence du concept d'usager indirect (indirect user) apparaît en 1985 dans un article de Paul Conway intitulé « Facts and Frameworks : An Approach to Studying the Users of Archives. » (Conway 1985) Pour Conway, le terme « usagers », ou « users », fait généralement référence à ceux qui fréquentent les services d'archives. Ce qu'on appelle l'usage dans les études d'usagers met en lien un besoin précis d'information exprimé par un usager à l'égard d'un document identifié (applicational need) ou d'une information plus abstraite (nutritional need) et la satisfaction de ce besoin par le service d'archives consulté. Cette définition de l'usager crée une vision dichotomique de l'utilisation et définit une frontière plus ou moins étanche entre l'enceinte du service d'archives et le monde extérieur en confinant ceux qui ne fréquentent pas ces institutions à la catégorie des non-usagers. Pour Conway, la définition du terme « usagers » doit être beaucoup plus englobante ; elle doit regrouper l'ensemble des bénéficiaires de l'information historique consignée dans les archives, qu'ils utilisent directement ou non les services des archivistes2.

2 « More fundamentally, users are also people who may never visit an archives but utilize archival information indirectly, for example, as partners or clients in a law firm, students in a classroom, viewers of a documentary film, or editors of a newspaper. Users of archives are, therefore, all beneficiaries of historical information ». (Conway, 1985, p. 396)

Dans un article intitulé « What is the Use of Archives » publié en 1987, Bruce Dearstyne reprend à peu de chose près cette définition élargie des usagers en scindant toutefois clairement le groupe des bénéficiaires de l'information consignée dans les archives en deux sous groupes distincts. Pour lui, les usagers qui fréquentent les services d'archives pour répondre à un besoin d'information sont des « usagers directs » qui correspondent aux usagers traditionnels des services d'archives3. En vis-à-vis, Dearstyne propose le concept « d'usagers indirects » qui comprend les usagers qui ne fréquentent pas les services d'archives, mais ont accès aux archives de manière indirecte en tirant profit des travaux réalisés par les usagers directs et ce, sans nécessairement avoir formulé un besoin précis d'information.

3 Dearstyne précise sa définition des usagers indirects dans « Archival Reference and outreach [...] » paru en 1997 : « People who seek information in archival materials and who have an information need that can be met through such research. »

Utilisant la définition de Dearstyne, Mary Jo Pugh, dans son ouvrage Providing Reference (1992), présente une vision plus pragmatique encore de ces deux catégories d'usagers. Selon Pugh, l'usage direct est celui qui met l'usager en contact avec le document, lorsque ce dernier passe par le service d'archives pour y avoir accès en personne, mais également lorsqu'il contacte le service de référence par téléphone, par courrier traditionnel et par courriel, afin d'obtenir une information précise tirée des documents d'archives. Afin de tenir compte de l'évolution des pratiques depuis la publication de cet ouvrage, nous pourrions ajouter la consultation de bases de données et d'instruments de recherche disponibles sur Internet. Pour Pugh, ce qui distingue ces usagers directs des usagers indirects est lié à l'effort qu'ils fournissent pour obtenir une information tirée d'un document d'archives en franchissant, même de manière virtuelle, l'enceinte du service d'archives. (Pugh 1992, 12)

Contrairement aux usagers directs, qui établissent des liens plus ou moins importants avec les services d'archives, les usagers indirects n'ont généralement aucun contact avec ces services. Ils utilisent plutôt des intermédiaires pour avoir accès à l'information contenue dans les documents d'archives. Le besoin d'information souvent imprécis et même inconscient des usagers indirects, la nature particulière des archives et la méconnaissance des services et des méthodes de mise à disposition des documents sont autant de facteurs qui peuvent expliquer leur absence des services d'archives. Mais le rayonnement des archives ne s'arrête pas aux murs des institutions qui conservent ces documents. Les usagers directs agissent comme des relais et des médiateurs entre la source de documentation primaire que sont les documents d'archives et la diffusion de cette information auprès du public grâce à la production et la publication de sources secondaires d'information qui les utilisent, que ce public soit restreint à une communauté particulière ou à l'ensemble de la population. Ce sont donc les usagers directs qui donnent vie aux archives. Récemment, William J. Maher, qui dès 1986 s'était intéressé à cette question dans son article « The Use of User Studies », insistait sur cette dépendance des usagers indirects à l'usage direct4 des archives et à la diffusion des informations qu'ils y trouvent. Pour lui :

Indirect use is the entire range of results of direct use of archives. Examples of outcomes of research include the administrative staff meeting that hears a colleague's report utilizing documents in the archives to clarify why an institutional policy was changed in 1969 ; the hundreds of persons who view an archives exhibit on local architecture ; or the thousands of individuals who examine the cover of the telephone that reproduces an 1890 photograph of your institution. Indirect users also include the readers of scholarly monographs that are based in part on information extracted from archival documents. (Maher 2001, 20)

4 Pour Maher, l'usage est : « the retrieval of information from archival and manuscript holdings, finding aids, reference tools, and staff memories. Regardless of purpose, such as administrative action, publication of a book, preparation of a course paper, genealogy, or personal curiosity, any retrieval of information should be considered as use. » L'usage direct nécessite : « the examination of documents to extract information or develop an interpretation of an event. Direct use occurs whenever a person seeking information asks questions about or examines archives and manuscript holdings, primarily in the research room. It also occurs when files are returned to originating offices or when photocopied or microfilmed documents are sent to off-site users. » (Maher 2001, 20)

Si le support d'information secondaire est important, le contact de l'usager indirect avec le document d'archives peut également s'avérer très ténu, mais non moins déterminant en termes d'utilité. L'information tirée des archives peut être disponible par le relais d'un support tangible mais également par celui d'autres pratiques de dissémination de l'information plus difficile à évaluer. Lorsqu'il décrit l'usager indirect des archives, Bruce Dearstyne5 donne non seulement l'exemple des individus qui fondent leurs recherches sur des documents utilisant les documents d'archives, mais également de ceux qui bénéficient de ces travaux sans être nécessairement en contact avec eux. Il donne l'exemple des patients soignés grâce à la recherche médicale basée sur des documents d'archives (on pense à la recherche dans le domaine génétique par exemple) ou encore aux cas de jurisprudence qui influencent le cours des causes entendues devant les tribunaux. Les premiers sont généralement conscients de l'utilisation des documents d'archives dans les travaux qu'ils consultent, alors que les seconds n'y voient généralement que du feu.

5 « For instance, students, lawyers, editors, and others draw on historical records for studies, reports, publications and productions that eventually reach a broad array of people. Readers of books, viewer of certain television shows and movies, people affected by legal proceedings that draw on historical precedent, people whose health is protected through historical study of diseases that draws on historical records, may all be considered indirect users of these materials of benefactors from their use. » (Dearstyne 1997, 175)

La définition de l'usager indirect utilisée dans le domaine des nouvelles technologies s'apparente à ce second segment d'usagers indirects dont parle Dearstyne et Maher, c'est-à-dire : « someone who does not actually use a product but who is directly affected by the product's usability6. » L'exemple fondateur de ce concept est celui d'un client qui, sans avoir conscience de bénéficier des performances d'un système informatique, l'utilise de manière indirecte par le relais d'un individu qui réalise son travail quotidien à l'aide de ce genre de système. On pense par exemple aux préposés au service à la clientèle. Le client, bien que souvent inconscient de l'usage de l'outillage informatique, et surtout à même d'en saisir l'utilité de manière tangible, devient un usager indirect, le service rendu étant fortement marqué par la technologie utilisée. En l'appliquant à l'usage des archives, la définition proposée dans le domaine des nouvelles technologies permet d'entrevoir l'idée d'un usage quasi inconscient des archives par les usagers indirects. Cet aspect n'est pas à négliger, puisqu'à la question « Quel est votre rapport aux nouvelles technologies ? », ceux qui ne possèdent pas d'ordinateur et qui ne savent pas s'en servir auront tendance à vous répondre timidement qu'ils n'utilisent jamais les nouvelles technologies ou à clamer leur ignorance de manière ostentatoire. Pourtant, personne n'y échappe. À la question, « Êtes-vous un usager des archives ? », bien des individus pourraient être tentés de répondre qu'ils ne les utilisent jamais, bien que plusieurs aspects de leur vie en soient touchés. En ouvrant la définition de l'usage, on ouvre le spectre des individus susceptibles d'être des usagers des archives. Ce type d'utilisation indirecte des archives est en quelque sorte la partie immergée de l'iceberg, la face cachée de l'utilisation des archives par les usagers traditionnels qui sont généralement l'unique point de mire des études d'usagers réalisées par le s archivistes.

6 Usability First, Usability Glossary, http://www.usabilityfirst.com/glossary/term_705.txt (Document consulté le 20 août 2006).

Ce bénéfice élargi propose un rapprochement entre la définition de l'usager indirect et celle du « large public » proposée par Marie-Claire Berche dans la mesure où elle suggère que les archives sont « susceptibles » d'intéresser ce large public de diverses manières.

Ce « large public » [...] se distingue de la clientèle habituelle de nos salles de lecture ; il est formé aussi bien des autorités administratives et des élus locaux que des catégories cultivées. Il comprend aussi tous ceux qui, sans participer de manière habituelle à des manifestations culturelles, se révèlent sensibles au pouvoir évocateur de documents présentés clairement et touchant des questions d'actualité. [...] Ce grand public témoigne aujourd'hui d'un goût croissant pour l'histoire, dans la mesure où la part qui lui est dévolue s'amenuise dans les programmes scolaires, diront certains. Succès des émissions télévisées (films et débats) sur des sujets historiques, diffusion d'ouvrages ou de revues accessibles à tous dus à des universitaires connus, publications vendues jusque dans les supermarchés, multiplication des sociétés historiques locales, développement de la généalogie, autant de signes qui traduisent, selon une expression un peu galvaudée, le désir de « retrouver ses racines », dans une civilisation en cours de mutations, l'engouement pour les civilisations traditionnelles et la vie quotidienne d'autrefois. (Berche 1985, 242)

La définition de Berche se situe à mi-chemin entre le public comme « ensemble de la population, la masse des gens, la foule » et comme « ensemble des gens intéressés, touchés par une manifestation intellectuelle ou artistique7 ». Ce qu'elle entend par large public s'apparente en fait à la « community », terme utilisé par les archivistes du Royaume-Uni, et qui englobe l'ensemble de la population touchée par les services offerts par un service d'archives. La « community » inclut un ensemble de communautés diverses comme le gouvernement, les établissements d'éducation, les organisations en tout genre, que celles-ci soient locales, nationales ou internationales et que cherchent à servir les institutions d'archives selon les catégories de chercheurs, les demandes et les priorités établies par ces institutions8. La « community » englobe l'ensemble des usagers directs et indirects, mais également les non-usagers, les donateurs ainsi que les usagers futurs. À cette définition s'ajoute celle des « stakeholders9 », c'est-à-dire l'ensemble des individus qui sont partie prenante de la mise en place des politiques de gestion des archives, qu'ils y contribuent directement ou indirectement, parfois sans même avoir conscience d'y jouer un rôle.

7 Définition tirée du Trésor de la langue française informatisé, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/fastshowart.exe?63%7DPUBLIC%3Csup%3E%3Cfont+size=-2%3E2%3C/font%3E%3C/sup%3E%2C+subst.+masc.%7D25292%7D25293%7D25294%7D0%7D5.
8. « 'Community' -- In its specific sense as a defined term the word 'community' does not necessarily refer simply to the population of a political unit or physical area (e.g. a local authority or town). For many archive services the community will extend beyond the formal boundaries of its responsible body (government, educational institution, private or voluntary organisation). The archive will probably serve multiple communities : local, national and international ; different communities of researchers and of other types of direct and indirect users and of nonusers. Different elements of the community may attract different priorities, types and levels of service. The 'community' to be served is defined through the stated purpose of the archive service. In archive services there are two important additional groups : Depositors -- the donors or lenders of records. Future users, the purpose of the preservation of records. » Standard for access to archives -- a working document, International Council on Archives, General International Standard of Archival... http://www.nationalarchives.gov.uk/archives/psqg/pdf/access_standard.rtf (Document consulté le 20 août 2006).
9. « « Stakeholders » are persons, corporate bodies or defined groups with an interest in the present and future activities of the archive service. Stakeholders include those with a financial interest (including tax payers in relation to a public service), office holders (e.g. politicians, committee members), executives, employees, suppliers, customers and the local community. » http://www.nationalarchives.gov.uk/archives/psqg/pdf/access_standard.rtf (Document consulté le 20 août 2006).

Le terme usager final ou « end-user », employé depuis longtemps dans le domaine du commerce, et plus récemment dans celui des nouvelles technologies, apporte encore un nouvel éclairage au concept d'usagers indirects. L'usager final implique la prise en compte d'un usager virtuel, c'est-à-dire potentiel, mais surtout d'une « modélisation » du produit adaptée à ses besoins. Il y a transformation du produit brut, de la matière première, en un produit attrayant et plus simple d'utilisation. Dans le domaine des technologies, ce concept vise essentiellement à distinguer les concepteurs et les informaticiens des usagers auxquels sont destinés ultimement les équipements et les logiciels utilisés et conçus par ceux-ci. L'usager final a des attentes différentes et n'a pas nécessairement besoin de connaître les composantes et la technologie appliquée pour pouvoir en profiter.

Dans le cas des archives, le terme d'usager final s'avère intéressant dans la mesure où, comme l'usager final des nouvelles technologies, ce dernier n'a pas nécessairement besoin de connaître les rouages du processus archivistique pour en tirer profit. Ce terme confirme également l'idée d'une adaptation du document d'archives à cet usager potentiel par l'effacement des traces du processus archivistique et une mise en contexte. Cette médiation particulière entre le document brut et l'usager indirect facilite l'accès au document, et permet d'augmenter le nombre d'usagers. Ainsi, le défi de l'archiviste ne serait pas tant de former l'ensemble des usagers potentiels aux méthodes archivistiques pour en faire des usagers directs des archives mais bien de rendre invisible le processus archivistique et de jouer un rôle de médiateur afin de faciliter la mise en valeur et l'utilisation des documents. Il semble donc y avoir une distinction à opérer entre les usagers directs, qui ont besoin d'une certaine formation (professionnelle dans le cas des archivistes ou d'appoint dans le cas des usagers qui fréquentent plus ou moins régulièrement les services d'archives) et les usagers indirects, qui ne s'engagent pas volontairement dans un processus de recherche et ont plutôt besoin d'une médiation pour être en mesure d'en faire usage.


La médiation nécessaire : du document primaire au document secondaire

Bien que la distinction entre un document d'archives et les autres catégories de documents puisse sembler ténue, et risque de le devenir de plus en plus avec l'apparition des documents numériques, les documents d'archives, sont des sources primaires d'information, créées dans un contexte précis, qu'il est nécessaire de connaître pour en saisir la portée. Suivant la définition de l'Association française de normalisation (AFNOR), le document primaire est un « document qui présente une information à caractère original, c'est-à-dire lue ou vue par le lecteur dans le même état où l'auteur l'a écrite ou conçue. » (AFNOR 1986, 44) Les documents d'archives sont appelés sources primaires dans la mesure où ils servent à nourrir la création de documents que l'on qualifiera de secondaires parce qu'ils « comport[ent] des données signalétiques ou analytiques sur des documents primaires. » (AFNOR 1986, 44) Les documents secondaires utilisent les documents primaires en les reproduisant de manière complète ou partielle ou en les interprétant de diverses manières.

L'importance des documents secondaires, c'est-à-dire les travaux réalisés et diffusés par les usagers directs des services d'archives, est connue depuis fort longtemps des archivistes. À Bibliothèque et Archives Canada, un document définissant les éléments d'une bonne stratégie de recherche suggère aux futurs visiteurs de consulter les sources secondaires afin de délimiter leur projet et de se faire une idée des fonds d'archives à consulter pour obtenir les informations nécessaires à leurs travaux10. Normand Charbonneau allait dans le même sens, dans Les Fonctions de l'archivistique contemporaine, en mentionnant que :

[B]ien des utilisateurs potentiels sont éveillés à l'existence des archives et à leur utilisation par les documents qu'ils ont vus ou entendus. On se présente dans les salles de consultation avec, à la main, la photocopie de la page d'un ouvrage montrant, par exemple, une image dont la mention de provenance indique, [...] qu'elle provient du centre d'archives visité. (Charbonneau 1999, 211)

10 « Les sources secondaires vous aident à délimiter votre projet et vous fournissent un contexte d'évaluation des sources primaires utilisées. À mesure que vous allez approfondir votre sujet, vous aurez une meilleure idée des secteurs déjà traités à fond et des aspects nécessitant une étude plus approfondie. Vous commencerez à formuler les questions et les idées dont s'inspireront vos recherches aux archives. Les noms, lieux, événements et dates que vous sélectionnerez en lisant fourniront les points d'accès aux documents primaires que vous consulterez. [...] À mesure que vous progressez dans vos lectures, passez du général au particulier, c'est-à-dire des études générales d'un sujet ou d'une période à des travaux axés sur des thèmes précis. Le bibliothécaire de référence pourra vous aider à établir un plan de travail portant sur les ouvrages de référence de base reliés à votre sujet, les bibliographies pertinentes et les principales revues dans le domaine. » « Stratégie de recherche », Bibliothèque et Archives Canada, http://www.collectionscanada.gc.ca (Document consulté le 20 août 2006).

Charbonneau suggère que les documents produits par les usagers directs des archives créent une demande et multiplient les usagers des services d'archives, usagers pris ici au sens d'usagers directs. C'est en effet lorsqu'ils deviennent des usagers directs des services d'archives qu'ils obtiennent l'attention des archivistes. Or, bien que la plupart de ces usagers directs soient aussi des usagers indirects, l'inverse, si on en croit les statistiques sur la fréquentation des services d'archives, n'est pas nécessairement vrai. Même si les services d'archives considèrent souvent les travaux des usagers qui fréquentent leurs salles comme un moyen de récupérer une certaine catégorie de clientèle, les usagers indirects qui ne franchiront jamais le seuil de ces institutions constituent bien souvent une énigme.


Le relais des usagers directs des archives

En considérant l'usage indirect des archives comme un phénomène social invisible, ou du moins intangible, on peut engendrer une réaction d'inertie face à d'éventuelles possibilités de mesure. L'usager indirect étant en relation de dépendance à l'égard des usagers directs, les typologies d'usagers traditionnels des archives et une bonne connaissance de leurs travaux permettent d'établir les relais et les itinéraires potentiels empruntés par les documents d'archives pour atteindre les usagers indirects. Le premier usager direct en importance est sans aucun doute l'archiviste lui-même, qui met à la disposition des usagers l'information contenue dans les fonds qu'il a la responsabilité de rendre accessibles. L'archiviste joue un rôle de médiateur, non seulement en faisant connaître les documents et en les rendant disponibles physiquement ou virtuellement, mais surtout en leur ajoutant une plus value qui en facilite l'accès intellectuel. L'archiviste est un professionnel qui acquiert des documents d'archives et qui crée des outils de classification et de description des fonds dont il a la garde pour faciliter leur accès par les usagers directs en assurant leur préservation et leur repérage. Les champs des Règles de description des documents d'archives (RDDA), outre ceux portant sur des indications de localisation, sont sans doute la première médiation qu'opère l'archiviste entre le fonds et les usagers potentiels. Le champ « Histoire administrative/Notice biographique » ainsi que le champ « Portée et contenu » nécessitent une recherche préalable, une mise en forme des informations, une lecture attentive des documents et une forme de traduction de leur contenu et de leur utilité. L'archiviste doit être un usager des archives afin de comprendre et de situer les documents qu'il traite et de les rendre accessibles par une mise en contexte. Ce rôle est particulièrement développé par les archivistes qui publient des articles utilisant certains fonds ou documents, des guides t hématiques ou encore des expositions traditionnelles et virtuelles. L'archiviste devient un usager direct jouant le rôle de médiateur auprès des usagers indirects lorsqu'il crée des documents secondaires et les diffuse largement. Il permet alors aux non-initiés, c'est-à-dire aux usagers indirects potentiels, d'entrer en contact avec les documents d'archives.

Les usagers directs : des courroies de transmission

L'archiviste, parce qu'il se situe au plus près des archives, est sans doute l'usager direct le plus susceptible de jouer un rôle d'intermédiaire entre le document d'archives et les usagers indirects. Il n'est pourtant pas le seul à contribuer à faire connaître les archives auprès des usagers indirects. Si les usagers directs sont importants pour les statistiques compilées dans les études d'usagers, ils le sont également pour le rôle d'intermédiaire et de médiateur qu'ils jouent.

Les usagers des archives courantes et intermédiaires

En 1988, la Society of American Archivists, influencée par la définition de Conway, décrivait les usagers indirects comme « the potential beneficiaries of the historical information found in archives. » (SAA 1988, 66 cité dans Pugh 1992, 12) On ne doit toutefois pas comprendre ici l'information historique au sens où la seule information accessible aux usagers indirects proviendrait des archives définitives. Affirmer que les usagers indirects ne profitent que des travaux portant sur les archives définitives, bien que celles-ci soient généralement les plus accessibles, pousse à négliger une grande part des usagers indirects sollicités par les travaux réalisés à partir des archives courantes et intermédiaires. En partant du principe que tout document primaire est un document d'archives, et non seulement lorsqu'il atteint le stade des archives définitives, l'éventail des usagers s'élargit considérablement. Les usagers internes d'une organisation sont souvent les premiers usagers directs des archives de leur organisation. Si les valeurs juridique et financière constituent de puissants facteurs déterminant la conservation des documents à court et moyen terme, leur valeur administrative, en permettant la poursuite des activités, est sans doute le facteur le plus souvent invoqué. L'utilisation de ces documents donne généralement lieu à la préparation d'études, à l'élaboration de projets, à la rédaction de rapports et de présentations destinés le plus souvent, pour des raisons de confidentialité, à des collègues que l'on peut considérer comme des usagers indirects, bien qu'au final, l'ensemble de la société puisse être touchée à divers degrés par un tel usage des archives.

Les usagers directs des archives définitives

Les usagers directs des archives définitives, en raison de la plus grande accessibilité des documents, sont plus diversifiés. On retrouve dans cette catégorie les universitaires, les étudiants, les professionnels de divers milieux et les chercheurs amateurs, parmi lesquels figurent les amateurs d'histoire et de généalogie. Ils proviennent souvent du domaine de l'histoire et des disciplines apparentées. Comme l'indiquaient les organisateurs de la Table ronde internationale sur les archives (CITRA) de 2002 portant sur la perception des archives :

Il est incontestable que les historiens et leurs étudiants restent des clients de choix des services d'archives, pour deux raisons essentielles. D'abord parce qu'ils sont chargés de jouer un rôle d'entraînement dans la recherche historique. On attend donc de la profession qu'elle se serve des archives pour faire la lumière sur des questions qui occupent une place déterminante dans la mémoire collective. En contrepartie, leurs travaux fournissent, parfois involontairement, la trame qui permet de diffuser de façon plus ou moins directe le savoir historique auprès du grand public, soit que les historiens eux-mêmes publient des livres à succès, soit, plus généralement que des manuels scolaires, des récits populaires, des articles de journaux, des films, des pièces de théâtre, des émissions de télévision, voire des opéras contribuent à faire connaître ces travaux. Ce faisant, les historiens donnent une interprétation savante du patrimoine documentaire, qui n'en acquiert ainsi que plus de valeur. Ces dernières années, les historiens ont été rejoints sur ce terrain par d'autres chercheurs venus d'autres disciplines scientifiques. (CIA 2003, 7-8)

Les historiens constituent un large spectre dans la communauté universitaire et dépassent les chercheurs affiliés à un département d'histoire. L'histoire s'incarne en effet dans la plupart des disciplines, que l'on pense à l'histoire littéraire, l'histoire de l'art, l'histoire sociale, l'histoire des sciences, etc. Toutefois, les professionnels de la « recherche appliquée » comme les journalistes, les notaires et les avocats, mais aussi de plus en plus de professionnels de tous les milieux utilisent les archives à diverses fins. On pense à des milieux fortement médiatisés comme le cinéma, la télévision, le journalisme, la littérature et plus récemment le milieu publicitaire11. Carol Couture indiquait que « ce sont ces chercheurs qui donnent le plus de visibilité au centre d'archives par leur utilisation, dans les médias grand public, des documents d'archives. » (Couture 1999, 381) Comme le notait également Ryan Flahive :

Professional historians rely upon primary sources found in Archives for the basis of their writings. Genealogists, or family historians, use cemetery records, newspapers, census reports, and a variety of other materials to locate past family members or fill a gap in their ancestry. Journalists use past records to form background and basis for their stories of the now. Lawyers use documents such as affidavits, contracts, and court dockets to help prove cases for their client base. Engineers use maps to prove road easement or to settle property disputes. These direct users channel archival information to indirect users in the wider community in the form of historical books, textbooks for schools, newspapers, films and documentaries, family trees, television programs, and Internet resources. As you can see, either directly or indirectly, we all use Archives. (Flahive 2005)

11 En France, le musée de la publicité retient l'attention des publicitaires. En 2003, un colloque intitulé « Fidéliser par le recours aux archives publicitaires » a rassemblé les publicitaires français. Au Québec, le Centre d'archives publicitaires joue un rôle similaire. http://www.aapq.ca/default.asp?id=58&mnu=58 (Document consulté le 20 août 2006).

Les exemples de moyens de transmission des informations tirées de la consultation des fonds d'archives sont aussi divers que les usagers et les possibilités médiatiques qu'ils rencontrent. Ces usagers peuvent en effet utiliser les archives pour produire des expositions, des romans, des biographies, des articles, des films, des émissions de radio et de télévision, des reportages, des essais, des enquêtes, des cours, des conférences, des articles de journaux, des mémoires et des thèses, des dictionnaires, des documents audiovisuels, des sites Web, des documents cartographiques, des encyclopédies, des manuels, des rapports, des arbres généalogiques, des histoires de familles, des monographies portant sur divers sujets, etc.


De l'usage explicite à l'usage implicite des archives : un phénomène de gradation

Les documents secondaires créés par les diverses catégories d'usagers directs des archives n'utilisent pas tous de la même manière les documents primaires que sont les documents d'archives. Ceux-ci peuvent être utilisés de manière explicite ou implicite. Les domaines de l'image, de l'image en mouvement et du son sont sans doute les principaux relais de l'utilisation explicite des archives. Les nouvelles technologies et l'explosion des médias sont des moteurs importants de ce type d'utilisation et des moyens particulièrement propices pour atteindre les usagers indirects des archives qui ont besoin d'un document précis. La commercialisation de cette catégorie de documents est également fort répandue ; que l'on pense aux compilations musicales d'anciens succès, à la vente sous forme de DVD des classiques du cinéma ou de grandes séries télévisées. Certains archivistes voient dans cet univers de la consommation une nouvelle possibilité de faire connaître les documents d'archives auprès du public. (Edmundson, 2004) L'avancement rapide des technologies numériques permet également de mettre un plus grand nombre d'usagers en contact direct avec les documents d'archives par le relais de sites Web, donnant à lire les sources du travail présenté, ou encore d'expositions virtuelles. On pense également à la popularité grandissante des émissions de divertissement utilisant des extraits de documents d'archives audiovisuels ou sonores. Les publications plus traditionnelles contribuent également depuis longtemps à faire découvrir les documents d'archives de diverses manières. Les fac-similés de documents à l'intérieur de manuels d'histoire, leur transcription et la citation d'extraits, et la présentation d'archives télévisuelles et radiophoniques dans le domaine de l'information sont encore des moyens largement utilisés12.

12 Dans une étude de l'Unesco, W. I. Smith indique que : « Une des principales qualités des archives est qu'elles ont un impact considérable sur le lecteur, le spectateur ou l'auditeur, qui capte leur message sans qu'il ait été analysé et interprété au préalable par l'historien. Cette démarche est celle qui aide le mieux à comprendre la réalité d'une époque révolue. C'est une expérience exaltante qui permet de s'identifier avec un auteur et avec un événement ou un moment précis dans le temps. Quand les archives sont présentées à des millions d'individus par l'intermédiaire des médias, elles leur donnent l'impression de partager une expérience vécue et cela crée un sentiment d'identité collective qui favorise l'harmonie des relations entre les hommes. » (Smith 1985)

Plusieurs travaux de recherche utilisent cependant les documents d'archives comme base de réflexion pour l'étude de larges phénomènes. Ils sont alors évoqués, mais n'en demeurent pas moins essentiels à l'avancement des connaissances. L'utilisation des archives peut alors être invisible à l'oeil de l'usager indirect en dehors des éléments bibliographiques mentionnés. C'est ce que nous appellerons, pour faire opposition à la première catégorie, l'usage implicite des archives. Ce caractère implicite de l'utilisation des archives peut-être un obstacle à la reconnaissance de l'utilité des archives. Cette partie non apparente est celle qui permet, par exemple, de reconstituer l'ameublement et les costumes d'époque dans un film sans que les documents ayant mené à la création du décor ne soient montrés à l'écran, d'établir la chronologie des événements dans une biographie sans nécessairement citer chacun des documents ayant permis de les dater ou encore de développer de nouvelles théories ou explications13 en tenant compte de données compilées antérieurement, etc.

13 Le collectif Study on the Long-term Retention of Selected Scientific and Technical Records of the Federal Government : Working Papers, disponible en ligne, rassemble des travaux dans divers domaines scientifiques (Chimie, physique, météorologie, océanographie, géologie, astronomie, etc.) sur l'importance de conserver les archives de la recherche et de s'y référer pour l'avancement de la science, Nat' Academy Press, Commission on Physical Sciences, Mathematics, and Applications, 1995, http://www.nap.edu/books/NI000157/html/105.html (Document consulté le 20 août 2006).


Comptabiliser l'invisible

Dans son chapitre sur l'évaluation des services d'archives, Lucie Pagé sépare l'évaluation en deux champs d'intervention soit l'évaluation des intrants (ressources) et l'évaluation des extrants (les services). La question des usagers se situe résolument du côté des extrants. Selon Pagé, la littérature sur l'évaluation définit la question des extrants selon deux perspectives, soit une approche minimaliste, qui prend en compte uniquement les activités du service de référence, et une approche maximaliste, qui ouvre la définition de services à une panoplie beaucoup plus large d'activités destinées à la communauté et qui comprend l'élaboration de plans de classification, de calendriers de conservation, d'instruments de recherche manuels et automatisés, de services de référence, de services éducatifs et d'activités de diffusion. La première approche cible un groupe précis et circonscrit aux personnes qui visitent un service d'archives et y consultent des documents, alors que la seconde approche témoigne d'une vision qui englobe non seulement les membres du premier groupe, mais toute personne qu'un service d'archives tente de servir. Si l'approche maximaliste permet de se rapprocher du concept d'usagers indirects, Pagé indique toutefois que « ces deux approches ne tiennent pas compte des personnes qui, sans avoir recours aux services d'une bibliothèque ou d'un centre d'archives, bénéficient indirectement de la consultation des documents. » (Pagé 1992, 135)

L'évaluation des extrants se base généralement sur des données quantifiables et mesurables et se borne à la chaîne qui lie le service d'archives et ses usagers directs et non pas à la suite de cette chaîne qui va de l'usager direct aux usagers indirects et plus globalement à la société. Pourtant, comme le note Pagé, l'objectif des études d'usagers, et de l'évaluation en général, est de « démontrer que les services et les programmes [d'une] institution ont un impact positif sur la ou les communautés qu'ils servent. » (Pagé 1992, 135) Pour Dearstyne, l'évincement des usagers indirects des études d'usagers pose d'ailleurs de réels problèmes lorsque vient le temps d'évaluer les performances d'un service d'archives et les retombées des efforts de diffusion. Si le pari de mesurer cet impact peut s'avérer difficile en raison des ressources qui doivent y être allouées, des moyens peuvent être mis en place pour arriver à mieux connaître, sinon les usagers indirects eux-mêmes, du moins la nature des retombées potentielles de l'utilisation des archives par cette catégorie d'usagers.

Pour évaluer l'utilité des archives en tenant compte des usagers indirects, Paul Conway a établi un questionnaire permettant de noter divers éléments lors de l'entrevue de référence (reference log) et de l'orientation du chercheur, de prendre des informations sur les résultats de la recherche (search report) et de faire le suivi (followup conversation). Conway préfère le terme de « follow-up conversation » à celui d'« exit discussion » proposé précédemment par Sue Holbert14, dont il s'inspire, parce qu'il rend plus informels les entretiens de l'archiviste avec le chercheur et évite la fermeture du cycle de la visite en étendant le lien avec le service d'archives dans le temps.

14 Sue Holbert propose aux archivistes trois moyens d'entrer en contact avec les usagers et de prendre les informations nécessaires à leur étude, soit au moment de l'inscription des chercheurs, lors de l'entrevue d'orientation et au moment du suivi « exit discussion ». Voir S. E. Holbert, Archives and Manuscripts : Reference and Access, Chicago, Society of American Archivists, 1977, p. 12-13.

Bien que certains aient critiqué la complexité du questionnaire de Conway, notamment parce qu'il suppose la collecte de données qualitative dont l'analyse s'avère plus complexe, il cible bien les éléments d'informations nécessaires aux services d'archives et mérite que l'on y porte attention. Pour Conway, « reports based on vivid data from users of archival services may be far more powerful tools than those based on dry statistics. » (Conway 1985, 405) Connaître le nombre de visiteurs reçus annuellement, le nombre d'heures qu'ils ont passé en salle de consultation, le nombre de requêtes auxquelles un archiviste a répondu ou encore le nombre de photocopies ou de numérisations demandées permet d'assurer une meilleure planification des services, mais ces informations ont leurs limites et sont loin d'être suffisantes pour évaluer les retombées de l'usage des archives. Dans le questionnaire de Conway, proposé aux usagers directs des archives, la question de l'usage des archives est documentée avec une question ouverte touchant l'éventuelle dissémination de leurs travaux auprès des usagers indirects : « If you expect to share the information that you find at the archives, please describe below in what ways the information will be used. Please use this opportunity to name the title of a proposed publication, describe the group that may benefit from your archival research, or describe the results of your research in more detail. » (Conway 1985, 403) Conway demande non seulement de quelle manière l'information sera transmise et le titre des publications qui serviront de relais, le cas échéant, mais également quelques éléments pour définir le groupe d'usagers indirects qui en bénéficiera ou une description des résultats de recherche afin de mesurer leur impact éventuel sur la société.

Partant des travaux de Conway, Dearstyne dresse également la liste des questions qui devraient être posées aux utilisateurs des archives afin de mieux les connaître. Trois d'entre elles visent à mieux évaluer les retombées de l'utilisation des archives par les usagers directs sur les usagers indirects et reprennent à peu de différences près la démarche de Conway15. Toutefois, loin de s'en tenir aux titres des travaux réalisés à partir des archives d'un service et aux résultats de recherche, Dearstyne indique que : « Researchers should be requested to furnish to the repository a copy of any written product based on their research that is available to the public. This would include in particular copies of articles, theses, dissertations, books, and newspapers and magazine articles. » (Dearstyne 1997, 191) Outre le fait que les renseignements qu'ils contiennent peuvent s'avérer très utiles pour connaître les chercheurs qui fréquentent les services d'archives et démontrer l'utilité des services offerts et leur impact, Dearstyne note que certains services d'archives pourraient profiter de ces documents secondaires pour mettre en valeur le potentiel de leur fonds en les incluant dans des expositions ou en les intégrant à un centre de documentation.

15 « What are the purposes of use ? », « How will the Information be disseminated ? » et « If the information is disseminated, what type of impact can it be expected ? » (Dearstyne 1997, 190-191)


Les usagers indirects des archives : vers une démarche plus systématique de mesure

Le rassemblement des titres des travaux réalisés à partir des archives d'un service, voire la collecte des documents publiés, semble permettre d'envisager une réponse à la question « what type of impact can be expected ? » et nous approcher des usagers indirects. Au Québec, certains archivistes demandent aux chercheurs d'envoyer une copie des travaux réalisés, mais surtout depuis quelques années, certains services d'archives ont commencé à inscrire les travaux des chercheurs dans leurs rapports annuels. Même s'il ne s'agit pas d'un phénomène encore très répandu, il marque toutefois un intérêt de la part de la communauté archivistique pour l'étude de l'utilité et des retombées de leurs services. Nous prendrons ici l'exemple du Service des archives et de gestion des documents de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), qui nous est apparu le plus développé et le plus novateur, après un tour d'horizon des pratiques d'évaluation dans divers rapports annuels disponibles et discussions informelles avec des archivistes16. Sans en faire une règle, il semble d'ailleurs que les services d'archives des universités québécoises soient plus sensibilisés à l'importance des travaux réalisés à partir de leurs archives17.

16 À la Division de la gestion des documents et des archives de la Ville de Montréal, le rapport annuel contient des informations sur quelques publications réalisées à partir des archives historiques. Il ne s'agit pas toutefois d'une compilation issue d'une démarche systématique, mais bien du résultat de discussions informelles avec les chercheurs et de découvertes au hasard. Ce hasard semble parfois provoqué par des archivistes soucieux du retentissement de leurs archives et de la reconnaissance de leur service dans la communauté. Une telle démarche, même individuelle, vise à faire reconnaître le service et éventuellement à obtenir un meilleur appui de la part des bailleurs de fonds. Je tiens à remercier Mario Robert, archiviste à la Division de la gestion des documents et des archives de la Ville de Montréal pour ces informations.
17 À la Division des archives de l'Université Laval, le questionnaire que doivent remplir les nouveaux chercheurs contient quelques questions sur le domaine de recherche, mais également sur la raison de la visite. Les choix de réponse permettent de noter minimalement la forme que prendra le travail réalisé à partir des documents des fonds consultés : article, monographie, films, expositions, etc.

L'exemple du Service des archives et de gestion des documents de l'UQAM

En plus des statistiques habituelles sur la fréquentation, le rapport annuel du Service des archives et de gestion des documents de l'UQAM présente une section consacrée à la nomenclature des principaux sujets de recherche de leurs usagers, tant les recherches réalisées à partir des archives privées qu'à partir des archives institutionnelles du service. La partie du rapport annuel consacrée à la diffusion et à la mise en valeur contient quant à elle trois sous-sections. La première est consacrée aux publications du service, la seconde présente les diverses activités de mise en valeur réalisées par le service, tandis que la troisième compile les publications et productions réalisées à partir des archives de l'UQAM. Dans cette dernière section, on trouve des thèses, des mémoires, des livres en tout genre, des articles, des expositions réalisées par le service d'archives ou d'autres intervenants, des productions radiophoniques et télévisuelles (émissions, reportages, documentaires et films), des productions cinématographiques ainsi que des conférences, des colloques et divers types de manifestations.

Pour arriver à une telle compilation, le service des archives et de gestion des documents de l'UQAM a mis en place divers outils et une procédure systématique afin de consigner les informations nécessaires au repérage des travaux réalisés à partir de ses archives. Le premier outil est le formulaire de recherche complété par les chercheurs à chacune de leur consultation. Celui-ci permet de colliger des informations comme la date de la consultation, les coordonnées et la provenance du chercheur, le sujet de sa recherche, l'objet précis de la consultation et la nature des documents consultés, ainsi que des éléments comme le nombre de reproductions réalisées, la durée de la consultation, etc.18 Outre ces informations, somme toute assez classiques, les techniciens et les archivistes, qui sont en contact avec les chercheurs, sont invités à noter les activités ou productions réalisées par les chercheurs et à s'assurer qu'une copie des travaux, dans le cas de publications matérialisées, ou les références complètes relatives aux événements produits à partir de la consultation des archives de l'UQAM, leur seront transmises.

18 Toutes les informations concernant les outils et les procédures mis en place à l'UQAM m'ont été fournies par M. André Gareau, directeur adjoint du Service des archives et de gestion des documents, que je remercie ici.

Grâce aux coordonnées des chercheurs, inscrites sur le formulaire de recherche, des rappels sont effectués régulièrement afin de s'assurer d'avoir une image la plus réaliste possible de l'utilisation qui est faite des archives. Ces rappels permettent de garder le contact avec les usagers et de parer les oublis de certains d'entre eux, notamment parce que les publications ou encore les coordonnées des événements sont souvent disponibles plusieurs semaines, voire plusieurs mois après la consultation. L'objectif d'un tel déploiement d'énergie, diront certains, a pour principal objectif de mettre en évidence l'utilité des archives conservées à l'UQAM, autant auprès des administrateurs de l'Université qu'auprès de sa clientèle actuelle et potentielle19.

19 Le Service des archives et de gestion des documents de l'UQAM est sur le point d'implanter un système informatisé de contrôle des consultations d'archives et des informations relatives à l'utilisation de ses archives. Ce système permettra notamment de faciliter le suivi auprès des usagers.

Du document secondaire à ses retombées

Le travail de compilation des travaux réalisés par les usagers directs constitue un premier pas vers une meilleure compréhension de l'utilité des archives et de leurs retombées. Mais comme le note Conway, « the impact of use beyond the repository is not documented through the ubiquitous lists of important research visitors and their important projets, but through a careful analysis of the dissemination of historical information within a wide variety of written and oral contexts. » (Cornway 1986, 397-398) La cueillette des titres des publications et événements réalisés à partir des archives d'un service s'avère essentielle pour évaluer la dissémination des archives dans la société, mais constitue seulement une première étape du processus. Cette liste représente un bon indice de leur utilité, mais ne suffit pas à en mesurer l'impact et le retentissement auprès des usagers indirects.

Une fois les données rassemblées sur l'utilisation des archives par les usagers directs et la compilation des documents secondaires auxquels elle a donné lieu, il est nécessaire d'analyser le retentissement de ces documents auprès des usagers indirects. Cet impact peut à notre avis être mesuré quantitativement, mais également qualitativement, bien que ce second aspect soit plus difficile à cerner. Pour illustrer notre propos, nous partirons de quelques exemples d'usage des archives à partir des catégories de documents secondaires produits par les usagers directs. L'idée n'est pas ici d'offrir une grille de calcul, mais de poser quelques réflexions permettant d'analyser le phénomène.

L'impact quantitatif

L'impact quantitatif est sans doute l'élément le plus objectif de la démarche et celui permettant de démontrer l'effet multiplicateur de la diffusion des archives par le relais de la documentation secondaire. Il s'agit de définir le nombre de personnes touchées par le document secondaire porteur des archives d'une institution ou ayant été réalisé à partir de la consultation de ses archives. Alors que l'étude d'usagers traditionnelle consigne la présence d'un seul usager dans la salle de consultation par visite, c'est à des dizaines, des centaines, voir des milliers d'autres usagers que les travaux produits s'adresseront et que les documents d'archives repérés seront transmis de manière complète ou partielle. Ainsi, un enseignant chercheur qui utilise le fruit de ses recherches dans le cadre de son enseignement peut rejoindre entre vingt et quatrevingts étudiants dans le cadre d'un cours. Si on compte que ce cours sera repris d'année en année, ce nombre est multiplié d'autant. De même, un journaliste pourra utiliser les informations tirées d'une enquête dans les archives ou encore joindre une photographie tirée des archives à un article. Il serait alors utile de connaître le tirage du journal en question pour mesurer le nombre d'usagers indirects potentiels. Il en est de même des émissions de radio et de télévision, des produits culturels comme les films, les romans historiques, les expositions, de même des conférences, des articles scientifiques, des monographies et des manuels scolaires, pour ne nommer que quelques exemples. C'est par le croisement des documents secondaires créés à partir des archives d'un service et les données sur l'auditoire, les téléspectateurs, les visiteurs, les lecteurs, les étudiants, les internautes, etc., que l'impact des archives auprès des usagers indirects pourra être mieux mesuré.

L'impact qualitatif

On ne saurait toutefois négliger l'impact qualitatif sur les usagers indirects que peut susciter cette documentation secondaire mettant au jour des documents d'archives, tant pour le service d'archives concerné que pour l'ensemble de la société. Cet impact ne s'évalue toutefois guère de manière comptable. Il varie en fonction des usagers indirects, il peut être individuel ou collectif, avoir des répercussions à court, moyen et long terme et plus généralement avoir une influence sur notre connaissance du passé et la préparation du futur. Si cette forme d'impact dépend de plusieurs éléments, l'archiviste peut jouer un rôle non négligeable non pas tant dans la forme ou le nombre d'individus touchés, mais dans le choix des documents, la qualité de l'information présentée et la compréhension de ceux-ci. Comme l'indique Kathleen L. Epp, qui s'est intéressée à l'utilisation des archives dans le domaine de la télévision :

Contextual knowledge provides the key to the interpretation of archival documents and is the essential information through which both archivists and the users of archives can find meaning in the words and image contained within documents. By assisting both the direct and the indirect users of archives to understand the nature of archival records and to examine critically their use in historical productions, archivists will position themselves in new ways, not only as experts on the uses of the archival record, but as active contributors to the societal process of remembering and interpreting the past. (EPP 1999, 4)

Pour Epp, l'archiviste doit être au fait des productions réalisées à partir de ses fonds et collections non seulement pour faire valoir son travail, mais également pour jouer le rôle qui lui revient dans la dissémination de l'information archivistique et la qualité de cette information. L'application du principe de respect des fonds, de même sa volonté de fournir un ensemble de fonds représentatifs de l'ensemble des activités d'une organisation et plus largement de la société, constitue un élément déterminant à la fois pour la qualité de l'information qui sera transmise aux usagers indirects par la voie des usagers directs, que pour les retombées de cette utilisation. La différence d'impact entre un article scientifique offrant des statistiques environnementales permettant l'avancement de la recherche sur le réchauffement de la planète et celle d'un manuel scolaire permettant à un étudiant du primaire d'étudier le parcours d'un personnage de l'histoire ou encore entre une monographie traitant de l'histoire d'une famille permettant à un individu de retrouver sa lignée et un cas de jurisprudence changeant le cours d'un procès est un élément subjectif. L'évaluation de cet impact peut se faire à l'échelle individuelle ou collective, mais plus la qualité de la documentation sera grande, plus cet impact fournira aux archivistes leur raison d'être et aux usagers indirects la conscience de l'utilité des archives.


Augmenter sa visibilité

Un programme de collecte des informations relatives aux publications réalisées à partir des fonds d'archives d'une institution comme celui de l'UQAM peut pour certains ressembler à une véritable corvée. Non seulement cette pratique demande-t-elle du temps, mais rares sont les chercheurs qui spontanément font part de leurs travaux aux archivistes, et encore moins nombreux sont ceux qui en envoient un exemplaire. Même les archivistes ne semblent pas être tous également conscients de l'impact de cette « collaboration » avec les chercheurs. La citation des sources constitue sans doute le meilleur fil tendu entre la documentation secondaire créée par les usagers et l'utilisation des sources primaires que sont les archives. Normand Charbonneau indique que « la plupart des centres d'archives exigent des utilisateurs des documents la mention de la provenance de l'information citée ou des documents reproduits. » (Charbonneau 1999, 411) Confrontés à une absence de normalisation d'un service d'archives à l'autre et à une multiplicité de pratiques dans les divers médias auxquels ces documents sont destinés, les usagers envisagent souvent la citation des sources archivistiques comme un véritable casse-tête. Charbonneau suggérait alors une harmonisation des pratiques qui tienne compte des exigences des divers médias dans lesquels ces archives sont susceptibles d'être reproduites, mais également la nécessité d'énoncer clairement les manières de citer les documents et de sensibiliser les usagers à cette pratique20. Ces exigences comportent des avantages pour les centres d'archives, car elles permettent de mettre en valeur l'exploitation de leurs fonds tout en offrant aux chercheurs des règles méthodologiques claires leur permettant de citer adéquatement les sources archivistiques utilisées. C'est dans ce but que dans son Guide du chercheur, le Service des archives et de gestion des documents de l'UQAM a inclus dès 1992 des instructions précises sur les conditions d'utili sation des archives de l'Université. Dès cette époque, les chercheurs étaient clairement informés de la nécessité d'indiquer avec précision la référence à tout document cité ou reproduit intégralement. D'autres services d'archives ont également mis en place de telles pratiques. À l'heure où les bases de données informatiques permettent de repérer divers types d'information, cette normalisation pourrait sans doute avoir des retombées importantes sur la consignation des documents créés à partir des collections d'un service d'archives, voire les diverses utilisations d'un fonds particulier. En citant la provenance d'un document, on augmente la visibilité du service d'archives. En contrepartie, cette pratique normalisée pourrait avoir un impact sur le repérage des documents secondaires produits et permettre ultérieurement une meilleure évaluation des usagers indirects des archives. Alors qu'en bibliothéconomie des bases de données comme les « Citation Index » permettent de repérer les ouvrages et articles dans lesquels un auteur est cité, il pourrait sans doute être envisageable de pouvoir dresser une liste similaire pour les services d'archives ou encore certains fonds. Il apparaît toutefois nécessaire qu'une campagne de sensibilisation soit mise sur pied dans les services d'archives, tant auprès des archivistes eux-mêmes qui gagneraient à connaître l'ensemble des lieux de plus en plus divers où les archives sont utilisées, qu'auprès des diverses catégories d'usagers et des médias qui diffusent leurs travaux.

20 Les champs des RDDA pourraient par exemple contenir une note précisant les manières suggérées de citer le fonds, la série ou le document. Tandis que les documents numérisés que l'usager peut télécharger sur son ordinateur, devraient également fournir les informations nécessaires pour identifier la source.


Conclusion

Dans « Archival Reference and Outreach » (Deastyne 1997), Bruce Deastyne indiquait que la collaboration est plus nécessaire que jamais entre les chercheurs et les archivistes pour contrer la sous utilisation des archives qui perdure encore après des années de questionnements. Au Québec, le rapport du ministère de la Culture et des Communications et du Bureau de la statistique du Québec, intitulé La culture en pantoufle, réalisé à partir d'une étude sur les habitudes culturelles des Québécois, laisse une place bien mince aux archives dans l'ensemble des établissements culturels. Selon ce rapport, « les centres d'archives et les centres de documentation spécialisés en histoire et en généalogie sont fréquentés par une petite partie de la population. Peu nombreux, ces établissements dispensent des services qui intéressent les personnes qui font des études ou des recherches21. » (BSQ 1997, 49) limitant ainsi les utilisateurs à une part infime de la population. La prise en compte des usagers indirects des archives pourrait sans doute contribuer à donner une autre image de l'impact de ces services auprès des décideurs et de la population. Comme le notent Terry Cook et Bruce Dearstyne à propos de l'utilisation des archives nationales de leur pays respectif : « Because most people are indirect and not direct users, the value of research conducted at the National archives is frequently not fully appreciated. » (Cook 1990, 125 et Dearstyne 1992, 175)

21 En 1989, la proportion de la population qui fréquentait les services d'archives était de 9 % ; en 1994, elle est de 7 %. La fréquence des visites s'est légèrement accrue entre ces deux années, passant de 4,3 fois en moyenne à 4,8 fois en 1994.

L'archiviste doit développer des pratiques plus efficaces pour analyser l'utilité et l'usage qui est fait des archives et trouver de meilleures façons de mesurer et d'interpréter l'utilisation à des fins de recherche. Selon Dearstyne, l'archiviste doit affronter le problème de l'inutilisation des ressources, concentrer ses efforts à publiciser et à convaincre le public et les décideurs de l'utilité des archives, faire participer les usagers dans certains domaines de l'archivistique en sollicitant leur collaboration et agir de manière proactive22. Même son de cloche chez plusieurs archivistes au Québec et au Canada qui remarquent que les décideurs et la population en général connaissent mal l'importance des services d'archives et leur utilité et que cette méconnaissance a un impact majeur sur l'image des services d'archives, des archivistes et ultimement sur l'allocation des ressources23.

22 Dearstyne développe sa pensée en six points : « 1) tracking and studying research use, 2) interpreting and reporting on the significance of that use, 3) promoting increased use, 4) emphasizing use as a means of garnering programme support, 5) reaching out to the researcher community as a partner in dealing with difficult archival problems, and 6) expanding the concept of reference service to a broader notion of researcher service, or public service. »
23 Comme le signale Jean-Pierre Wallot : « Ultimement, la satisfaction des bailleurs de fonds passe par une exploitation des ressources archivistiques et par leur visibilité qui s'épanouissent, dans la plupart des services, au sein des programmes publics au sens large. D'où l'inévitable dépendance des archivistes par rapport aux utilisateurs (personnes, administrations) pour le maintien des services d'archives. » (2003, 171)

Depuis quelques années, on assiste à une prise de conscience de la part de la communauté archivistique de cette « dépendance » à l'égard des usagers, qui n'est autre que le résultat de toute activité tournée vers le service à la clientèle, et surtout de la nécessité de transformer l'image de l'archiviste. Comme l'indique la Society of American Archivists, il faut informer les décideurs des impacts de l'utilisation des archives : « The purposes, uses, and contributions of the Archives have to be made more vivid, more concrete, and reported in various ways [through] communication of a steady flow of examples to heighten awareness and appreciation of what is being gotten for the money. » (SAA 1984, 4) Maher ajoute que « Reporting on use can counteract substantially the stereotypical view of squirrel-like archivists lurking in basements, moving dusty boxes from shelf to table and back again. » (Maher 1986, 11) Conservateur et gestionnaire du patrimoine, il agit certes comme courroie de transmission du savoir auprès des usagers, mais également auprès des usagers indirects des archives. L'archiviste a donc tout intérêt à regarder au-delà de l'enceinte de son service pour évaluer l'impact des archives dans la société et à se doter d'outils pour mesurer cet impact24.

24 Au Royaume-Uni, Janet Kenyon a tenté de définir des paramètres permettant de mesurer l'impact des archives auprès des amateurs d'histoire en identifiant les regroupements d'individus et les lieux de mise en valeur des archives à travers tout le pays. Il s'agit d'un premier mouvement en vue de dresser la cartographie des lieux ayant un impact sur la diffusion des archives auprès des usagers indirects. (Kenyon 2005)

Le travail de diffusion réalisé par les usagers directs auprès des usagers indirects, combiné à celui des archivistes, peut sans doute contribuer à mieux saisir le rayonnement des services d'archives et à mieux faire connaître leur utilité. Le concept d'usager indirect constitue à n'en pas douter une piste éclairante qu'il serait utile de poursuivre. Comme le note Élisabeth Verry, malgré la distance existant entre les usagers et les archivistes en regard des pratiques, « c'est bien l'utilisation qu'ils [les usagers] feront -- ou feront faire -- des sources collectées qui leur donnera leur vraie valeur et nous offrira, en retour la satisfaction d'avoir, en conservant, accompli oeuvre utile. [...] Il faut souhaiter aux uns et aux autres de s'écouter mieux encore, et surtout de multiplier, dans les cénacles de toute nature, les occasions de travailler en commun, qui sont autant de voies pour donner un but ultime -- la qualité de la recherche -- la place centrale qui est la sienne et qui récompense les efforts de tous. » (Verry 1999, 90-91)


Bibliographie

[Outre les documents cités, nous indiquons également les ouvrages et articles qui ont servi à nourrir notre réflexion].

ASSOCIATION FRANÇAISE DE NORMALISATION (AFNOR). 1986. Vocabulaire des archives. Archivistique et diplomatique contemporaines, Tour Europe, Paris, La Défense.

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