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BAnQ à vendre, une institution de moins en moins grande et une décision sans vision pour l’avenir

Publié par Carol COUTURE
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BAnQ à vendre, une institution de moins en moins grande et une décision sans vision pour l’avenir

par Marie D. Martel et Carol Couture. 

Publiée dans la section Opinions du journal Le Devoir, le 1er mars 2025

Dans le dossier de la vente des terrains de la Grande Bibliothèque à Hydro-Québec, un détail mentionné par Le Devoir retient l’attention : la présence de deux étages d’entreposage pour les documents de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) à l’intérieur du poste électrique. Cette décision soulève une question fondamentale : est-il acceptable de stocker les archives du Québec dans un tel environnement ?

Les ingénieurs eux-mêmes admettent que cette option « demande d’être étudiée », un aveu d’incertitude préoccupant. La conservation des archives nécessite des conditions rigoureuses en matière de température, d’humidité et de sécurité. Un poste électrique, même bien conçu, ne constitue pas un environnement optimal pour préserver à long terme des documents fragiles et essentiels à la mémoire collective.

Si BAnQ en arrive à une telle décision, c’est parce qu’elle fait face à un problème chronique de financement et d’espace d’entreposage, signalé depuis des années et toujours sans solution durable. La véritable question est donc : pourquoi en est-on rendu à une solution aussi discutable ?

Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a déjà minimisé l’incidence de cette vente sur l’avenir de la Grande Bibliothèque, affirmant que celle-ci n’a pas, à ce jour, de projet d’agrandissement. Ce raisonnement est inquiétant, car il sous-tend soit une méconnaissance du dossier, soit une négligence délibérée : BAnQ y est à l’étroit depuis son ouverture, en 2005. Le besoin d’espace est documenté, et ce n’est pas parce qu’un agrandissement n’est pas planifié à court terme qu’il ne sera pas nécessaire à moyen ou long terme. Avec cette transaction, on condamne toute possibilité d’expansion sur le site même de la Grande Bibliothèque.

Le vice-président du CA, Gaston Bellemare, adopte une posture tout aussi troublante. En expliquant que la vente était motivée par une « offre généreuse » d’Hydro-Québec, il laisse entendre que BAnQ fonctionne selon une logique marchande. Or, une bibliothèque publique et nationale n’a pas vocation à être rentable : elle doit garantir l’accès à la culture et à l’information, préserver et diffuser le patrimoine documentaire québécois, non générer des profits.

Un autre aspect préoccupant est que cette vente sert aussi à financer la Maison de la chanson, un projet planifié au détriment des services aux ados, un enjeu connu depuis des années et toujours sans solution. La Grande Bibliothèque demeure un lieu qui exclut de fait les personnes adolescentes, faute d’un espace adapté. L’abandon du projet de la bibliothèque Saint-Sulpice, qui leur était destiné, n’a jamais été compensé. De plus, l’espace Le Square, conçu naguère pour les jeunes adultes, est désormais ouvert à tous les publics, ce qui réduit encore davantage l’offre pour les ados, qui restent un « non-public » pour BAnQ.

Cette vente va aussi à l’encontre des principes fondamentaux des nouvelles bibliothèques. Les espaces verts et de quiétude font désormais partie intégrante de leur offre, particulièrement dans une institution de l’envergure de BAnQ et qui adhère au modèle des bibliothèques tiers-lieux. Ils ne sont pas accessoires, mais essentiels à la lecture, à la réflexion, aux activités sociales extérieures, au bien-être des usagers et usagères ainsi qu’à l’ouverture et à la relation de proximité de l’institution avec le quartier.

De plus, ces espaces illustrent un engagement clair pour la transition écologique et le développement durable, des valeurs centrales du discours professionnel et éthique des bibliothèques aujourd’hui. Sacrifier ces espaces pour un poste électrique va à l’encontre des orientations actuelles du milieu documentaire et culturel.

Enfin, cette situation rappelle un autre problème majeur : l’abandon des espaces d’exposition de la Grande Bibliothèque. Ces espaces ont été fermés à la suite de coupes budgétaires sous l’ancienne direction, et la nouvelle administration n’a trouvé d’autre solution que de disperser des micro-expositions dans divers espaces de la bibliothèque. Cette approche ne compense en rien la fermeture des véritables salles d’exposition : le public peine à repérer ces expositions disséminées et repart souvent bredouille, faute de les avoir trouvées. Encore une fois, la mission de médiation culturelle de BAnQ est affaiblie par des décisions budgétaires discutables.

Ce dossier illustre un problème plus large : l’insuffisance du financement de BAnQ pour qu’elle remplisse adéquatement ses missions. Un problème que manifestement la nouvelle direction n’aura pas réglé, alors que cela a été présenté comme l’un des atouts de son mandat. Si BAnQ en vient à vendre son propre terrain pour financer d’autres projets, comme la Maison de la chanson, cela témoigne d’un manque criant de soutien de l’État. Il devient urgent de repenser l’appui gouvernemental à cette institution culturelle phare ainsi que le leadership de sa présidence.

Par ailleurs, la Grande Bibliothèque demeure sans directeur général depuis le départ de Martin Dubois l’an dernier, l’une des rares figures du nouvel organigramme à posséder une véritable expertise en gestion des bibliothèques. Cette absence soulève des questions sur la gouvernance de BAnQ et sa capacité à défendre efficacement ses missions, que l’on constate dans les circonstances actuelles.

La vente des terrains à Hydro-Québec n’est pas une simple transaction immobilière : elle signifie un manque de vision à long terme pour l’avenir de BAnQ. Plutôt que d’accepter passivement cette décision, il est temps d’exiger un engagement ferme pour garantir à cette institution le leadership et les ressources nécessaires à l’accomplissement de ses missions, sans compromis sur l’intégrité de ses espaces et son développement futur.




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