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Hydro-Québec sur le site de la Grande Bibliothèque, c’est non
Lettre ouverte publiée par Lise Bissonnette, Gérard Beaudet, Phyllis Lambert, Yves Gingras, Christine St-Pierre, Carol Couture et Michel Marc Bouchard, dans la section Idées du journal Le Devoir Hydro-Québec sur le site de la Grande Bibliothèque, c’est non | Le Devoir
Lettre ouverte à l’intention de François Legault, premier ministre du Québec, Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications, Christine Fréchette, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, ministre responsable du Développement économique régional et ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal, ainsi qu’aux autres membres du Conseil des ministres.
Nous en sommes aux derniers jours de l’année 2024. Sans information, sans débat ni raisonnement connus, le Conseil des ministres du gouvernement du Québec s’apprête à adopter, portes closes, un décret qui autorisera la plus importante institution culturelle d’ici à vendre à la société Hydro-Québec un terrain dont la cession bloquera la croissance de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Sur ce terrain, Hydro-Québec installera un énorme poste de transformation électrique de 315 000 volts, un édifice industriel massif, élevé, dangereux, dont la présence sera le symbole d’une démission collective. La renaissance du Quartier latin deviendra un fantasme. Et la réputation du Québec, comme celle de Montréal, seuls endroits de nos mondes internationaux de référence à s’infliger une plaie pareille en leur centre, affichera une médiocrité.
Comment ce projet de décret a-t-il pu sans bruit se poser si haut ? C’est que, depuis plus de cinq ans, l’opération a profité d’une concertation secrète entre des organismes publics majeurs, tous outillés pour échapper aux mesures d’accès à l’information. Ce sont la société Hydro-Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), le ministère québécois de l’Énergie et celui de la Culture, appuyés tout au long par la Ville de Montréal. N’eût été une primeur parue dans les pages économiques du Journal de Montréal en novembre 2023, leurs tractations seraient demeurées incognito. Des protestataires ont alors commencé à se faire entendre.
Aucune étude, aucun document substantiel, aucun forum de l’Assemblée nationale n’a fait écho. Hydro-Québec a offert deux sessions de cafés-croissants à quelques invités des environs pour réfuter toute contestation. L’emplacement désigné pour ce poste serait le seul possible, y renoncer mettrait en danger la transition énergétique à Montréal, moteur du Québec. Si ce terrain avait été occupé, aurait-elle donc renoncé à ses 315 000 volts ? Absurdité.
Nous nous sommes renseignés par nos propres moyens sur les effets délétères d’un projet aux dimensions insensées. Ce sera le blocage de l’avenir en voie de se dessiner pour le Quartier latin, espace culturel et universitaire si porteur de vie, grâce à la Grande Bibliothèque de BAnQ, à l’Université du Québec à Montréal, à la proximité de commerces animés et du Quartier des spectacles. Ce sera près d’une décennie de travaux industriels et technologiques lourds qui vont pourrir la vie du voisinage et des milliers de personnes qui le fréquentent. Ce sera le report aux calendes grecques de la requalification d’un secteur massacré durant les années 1950 par la rue Berri et son viaduc de la rue Sherbrooke, tranchée urbaine qui deviendra pire encore.
Ce sera surtout, tous le savent de haut en bas des lieux de pouvoir, l’acceptation tacite de la dégradation déjà ambiante des lieux d’accueil de misères urbaines dont on feint de se désoler avant de les passer ainsi aux pertes.
Nous réclamons donc que le gouvernement du Québec y renonce. Nous espérons que les élus, à l’Assemblée nationale, prendront acte de la lecture limpide proposée par leur collègue Manon Massé, députée de la circonscription touchée, et se joindront à elle hors des considérations partisanes pour exiger une remise en cause toujours possible. Des propositions inacceptables ont été repoussées, dans notre histoire récente, dont celle du REM au centre-ville. Montréal ne souffrira pas d’une panne de courant mortifère si les pylônes ne font pas leur lit dans ce jardin.
Nous demandons aussi au conseil et à la direction de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, fiduciaires de l’ensemble de nos héritages, d’expliquer leur collaboration directe à une calamité qui va miner leur propre mission. Le silence absolu de l’institution est en soi une parole. Elle dit la soumission de BAnQ, pourtant société d’État législativement autonome, aux diktats du gouvernement, allié à Hydro-Québec.
Ces deux acteurs lui ont imposé un troc humiliant. En juillet 2022, lors d’une activité publique annonçant la réfection de la bibliothèque Saint-Sulpice, magnifique immeuble patrimonial propriété de BAnQ, on a révélé en passant que la société d’État allait assumer sa part des frais grâce à « la vente d’un terrain » à Hydro-Québec. Dépouiller une institution culturelle au profit de la plus grande puissance industrielle publique au Québec : telle était la manoeuvre qui a mis quelque temps à se dévoiler.
Durant le même été, le gouvernement du Québec se dotait avec ferveur, fierté et avant-gardisme assuré d’une « Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire » qui se proclamait « exemplaire ».
Étrange contexte. La ministre de l’Énergie reprend actuellement les clichés des relationnistes mobilisés par Hydro-Québec. Le plus courant veut endormir les inquiets. Il annonce que le mastodonte, étranger à la nature de son environnement, sera « encapsulé », c’est-à-dire maquillé par une enveloppe dessinée grâce à un concours international d’architecture. Ce sera tout sauf « exemplaire » d’ériger une monumentale stèle funéraire sur la fosse des meilleures espérances. À moins, car il est encore temps, que des échines se redressent.
Pour dire non à l’adoption du décret, oui à l’intelligence des lieux.
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