Québec, le 16 octobre 2020
Monsieur Jorge Humberto Pacheco Rojas, PSS
Supérieur provincial des Prêtres de Saint-Sulpice de Montréal

 

Objet : Le sort des archives des Sulpiciens inquiète les archivistes

 

L’Association des archivistes du Québec (AAQ) fait partie de ceux qui, le 19 août dernier, a appris par l’entremise du journaliste Jean-François Nadeau du Devoir, le congédiement de l’ensemble du personnel responsable de la conservation, du traitement et de la mise en valeur des archives des Sulpiciens.

Nous ne savons pas depuis quand cette situation perdurait, car les Prêtres de Saint-Sulpice n’avaient pas jugé bon de faire connaître cette décision à la société québécoise qui, au fil des siècles, leur avait confié la garde et la gestion de ce patrimoine, non plus qu’au gouvernement québécois auquel ils sont redevables par le statut qu’il a accordé aux archives de Saint-Sulpice en tant que centre d’archives privées agréés. Ce n’est donc que grâce au travail journalistique du Devoir que cette situation a été mise à la connaissance des archivistes et des autres professionnels de la gestion du patrimoine, des chercheurs et de l’ensemble des citoyens du Québec.

C’est donc avec stupeur que nous avons appris ce 19 août, que les archivistes de même que tous les professionnels de l’Univers culturel de Saint-Sulpice, créé en 2006 pour prendre soin du riche patrimoine dont vous aviez la garde (archives, œuvres d’art (biens mobilier) et livres rares), avaient été remerciés et les biens laissés sans gardiens et médiateurs pour les rendre accessibles et les mettre en valeur.

Immédiatement, des voix se sont élevées pour empêcher le pire, soit la dispersion des archives et autres biens culturels. L’AAQ, comme bien d’autres organismes et individus, a interpellé la ministre de la Culture et des Communications pour qu’elle pose un geste pour la protection de ce patrimoine qui remonte au 17e siècle. Un avis d’intention de classement a été émis rapidement, fort bien, mais le classement des archives ne réglera pas tout, car s’il vise à encadrer la préservation des archives, il reste muet en ce qui concerne leur traitement, leur mise en valeur et leur accessibilité.

Depuis, votre silence est inquiétant. Une lettre ouverte envoyée à la Conférence des évêques catholiques du Canada (CÉCC), à l’Assemblée des évêques du Québec (AÉCQ) et à la Conférence des religieux et religieuses du Canada (CRC) au lendemain de la parution de l’article du Devoir, démontre de manière éloquente qu’il ne vous semble n’avoir qu’eux à rassurer. Et pourtant, en tant que Seigneurs de Montréal, ces archives touchent autant la chose séculière que spirituelle.

De plus, vos arguments nous laissent pour le moins perplexes. Comment, après avoir clamé votre constante attention pour les archives et autres patrimoines dont vous avez la garde depuis 1657, attention, dites-vous « réaffirmée et concrétisée » par la création, en 2006, de la Corporation Univers culturel de Saint-Sulpice (UCSS), vouée à la préservation, à l’inventaire et à la gestion des archives et autres biens mobiliers, pouvez-vous vous départir du personnel dédié à cette mission?

Vous désirez, dites-vous, vous « tourner maintenant vers des activités de conservation, de mise en valeur et de diffusion de [ce] riche et presque unique patrimoine, archivistique d’abord, ainsi que culturel […] à travers des recherches et des publications »? Fort bien. Nous applaudirions ces nobles objectifs si le premier geste posé pour les atteindre n’avait pas été de vous départir de tous ceux qui, au sein de cette corporation, avaient les compétences et l’expertise pour les concrétiser.

Vous prenez la peine d’énumérer toutes les mesures de sécurité physiques qui entourent les archives et autres biens mobiliers : caméra de surveillance, coffres de sécurité, mais pas un mot sur les ressources humaines spécialisées qui ont la mission de veiller sur ces biens si précieux sinon pour dire que « [vous] êtes satisfaits que les indemnités offertes étaient raisonnables dans les circonstances ». Nous espérons que ceux qui en ont bénéficié les ont aussi jugées telles!

Vous avez, bien sûr, le droit de remercier des employés que vous jugez ne pas être en mesure de remplir la mission que vous désirez leur confier et de les remplacer par des professionnels possédant des compétences plus en adéquation avec vos nouvelles priorités. Mais de cela, il n’est nullement question, ni ici ni ailleurs.

Pourtant, leur départ laisse un grand vide que toutes les caméras et tous les coffres de sécurité ne sauront compenser. Car ce ne sont pas les coffres-forts qui sauront guider un chercheur vers les documents renfermant les informations recherchées. Ce ne sont pas les caméras de sécurité qui établiront la liste des priorités en matière de traitement ou de restauration. Ce ne sont pas les murs épais qui garantiront la diffusion de ces archives si précieuses, ce sont des archivistes formés et dévoués et dont il n’est nullement question dans la missive du 20 août dernier.

Dans les circonstances, l’Association des archivistes du Québec continue de s’inquiéter du sort des archives de Saint-Sulpice et continuera de s’en inquiéter tant que des professionnels ne seront pas de nouveau en poste à l’Univers culturel de Saint-Sulpice pour veiller sur elles. À notre avis, il s’agit d’une condition essentielle à la préservation d’un patrimoine aussi riche, qui ne pourra être assurée en étant privé d’une telle expertise, laquelle mérite d’être reconnue.

 

Très respectueusement,
Frédéric Giuliano
Président
Association des archivistes du Québec

David Bureau
Président
Regroupement des archivistes religieux